Revue de presse

L. Strauch-Bonart : « La frontière reste le fondement de la souveraineté » (lefigaro.fr/vox , 6 juil. 17)

Laetitia Strauch-Bonart, essayiste et chercheur en histoire, auteur de "Vous avez dit conservateur ?" (Cerf). 21 juillet 2017

"Les récents attentats en Angleterre obligent les pouvoirs publics à construire des protections sur les ponts de Londres. Lʼexpression commune « Jeter des ponts plutôt que construire des murs » prend un nouveau tour…

On construit donc des murs sur des ponts, ce qui est assez cocasse ! La formule que vous mentionnez tourne surtout au cliché. Depuis son emploi par le pape François, elle est devenue un leitmotiv - le président de la République vient ainsi de la reprendre dans son hommage à Helmut Kohl. Cʼest une formule séduisante que nous aimerions tous reprendre à notre compte. Mais elle décrit assez mal la réalité. Son utilité est autre : elle permet à celui qui la prononce de se donner bonne conscience. Cette formule participe dʼune vision manichéenne du monde - les bons défendent les ponts et les méchants les murs. Quant à ceux qui critiquent les « murs » tout en se barricadant dans les beaux quartiers, ils ne sont pas très crédibles ! En réalité, lʼespace qui nous entoure, quʼil soit concret ou symbolique, est fait de ponts et de murs. Ainsi, je serais curieuse de voir des maisons sans murs. Le pont donne accès, mais il expose aussi ; le mur sépare, mais dans le même temps il protège. Que vous préfériez le pont ou le mur dépend toujours, en réalité, du côté où vous vous placez.

Plus largement cʼest la notion de frontière qui est souvent évacuée du débat, comme si les frontières étaient aussi impuissantes que la ligne Maginot. Les frontières sont-elles anachroniques ?

Il faut distinguer les faits et les valeurs. Les frontières économiques entre pays, dans les dernières décennies, se sont estompées. Les personnes peuvent aussi circuler plus facilement dans certaines aires géographiques. Les moyens de communication modernes donnent lʼimpression que les frontières physiques comptent moins. Mais les frontières nʼont pas disparu : entrer aux États-Unis est une véritable expérience de la frontière. Et dans dʼautres régions du monde, les frontières sont tenaces. Ensuite, faut-il abaisser les frontières ? Les sociétés libérales estiment que cʼest une bonne chose. Mais on peut le faire par pragmatisme, pour favoriser les échanges humains, culturels et économiques, ou par idéologie. Dans ce dernier cas, la frontière est perçue comme un ennemi. Vous retrouvez cette opposition entre pragmatisme et idéologie au sein de lʼUnion européenne : son acharnement à lier la liberté de circulation des personnes à celle des biens est plus idéologique que rationnelle.

La frontière nʼest pas un bien ou un mal en soi - tout dépend de ce que vous en faites. Oui, la frontière sépare. Mais elle est aussi précieuse : notre peau est une frontière entre notre organisme et le monde extérieur ; elle nous protège. Les murs de nos habitations nous protègent des intempéries et des intrus. Les États modernes sont nés de la reconnaissance de leurs frontières : la frontière est le fondement de la souveraineté et de la démocratie, et sa négation, historiquement, signifie aussi la guerre ! Les frontières permettent de protéger les citoyens dʼun pays et de leur faire bénéficier de services publics - avantages que ces États nʼoffrent pas à ceux qui nʼy vivent pas. Parce que la frontière délimite une communauté de devoirs autant que de droits. La frontière exclut les uns, certes, mais pour inclure les autres.

Pour certains, les frontières sont à lʼorigine du mal. Sʼil nʼy avait pas de frontières, disent-ils, il nʼy aurait pas de guerre. Cela revient à dire que si nous nʼétions pas différents les uns des autres, il nʼy aurait pas de conflits entre nous. Cʼest une lapalissade. Car les frontières sont là, quʼon le veuille ou non. Une fois quʼon le reconnaît, on peut sʼinterroger sur la circulation possible et souhaitable entre deux espaces donnés.

Depuis 1945, les Allemands et les Français ont jugé primordial de multiplier les occasions dʼéchange. De même, cʼest un devoir moral que dʼaccueillir des réfugiés - toute la difficulté étant de savoir combien et comment. Tout cela est important, mais nʼa jamais signifié la négation des frontières. [...]

Le livre de Johan Norbert, Non, ce nʼétait pas mieux avant (Plon), cherche à montrer les mérites de cette globalisation. La nostalgie est-elle une pathologie ?

Cet ouvrage cherche à montrer les bienfaits du progrès, dont la mondialisation est pour lʼauteur un instrument. Lʼentreprise est louable : oui, il y a des raisons de se réjouir. Mais lʼauteur met sur le même plan des notions différentes. Certaines ont trait à notre niveau de vie : nous mangeons mieux, nous sommes en meilleure santé et nous vivons plus longtemps ; la pauvreté a baissé dans le monde, tout comme la violence. Tout cela est vrai ! Toutefois, lʼauteur en vient à considérer que la liberté et lʼégalité sont, elles aussi, plus grandes, ce qui est sujet à caution, tant les définitions quʼil en donne sont restreintes, et sans interroger les effets pervers de cette tendance. Il sous-entend que le progrès politique et moral non seulement existe, mais quʼil peut se mesurer comme le progrès matériel. On peut être sceptique. Séparer le bon grain de lʼivraie, dans le présent, ne signifie pas forcément se réfugier dans la nostalgie, mais faire preuve de discernement. Avoir la nostalgie du temps où on mourait de la rage me semble un peu étrange. Avoir celle du temps où les hommes tenaient la porte aux femmes est somme toute bénin, charmant - et nécessaire."

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