Revue de presse

La soeur de Samuel Paty : "Si tout le monde se résigne, nous ne sommes plus un pays de liberté" (lejdd.fr , 7 fév. 21)

7 février 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’Association des professeurs d’histoire et de géographie vient de créer un prix portant le nom de leur collègue, Samuel Paty, assassiné le 16 octobre 2020 à la sortie de son établissement scolaire à Conflans-Sainte-­Honorine (Yvelines) par un jeune islamiste tchétchène. Sa sœur, qui fait partie du comité de pilotage du prix, prend la parole pour la première fois à cette occasion. "J’y vois un bel hommage pour entretenir le travail de mémoire et faire en sorte qu’après cet événement les choses changent, pour qu’on n’oublie pas ce qui s’est passé, qu’on puisse dire ’plus jamais ça’", déclare M., la benjamine de la fratrie Paty, dans un entretien exclusif au JDD.

A vos yeux, que représente ce prix ?

J’y vois un bel hommage pour entretenir le travail de mémoire et faire en sorte qu’après cet évènement, les choses changent, pour qu’on n’oublie pas ce qui s’est passé, qu’on puisse dire plus jamais ça. Ce prix, c’est une façon de porter haut nos enseignants mais aussi nos enfants qui sont porteur d’espoir. Les deux vont ensemble.

Quel est l’objectif de ce Prix ?

Ce sera de récompenser ceux qui résistent, qui comprennent qu’apprendre est un enrichissement, que ça construit l’adulte de demain. L’important pour les élèves, ce n’est pas d’exceller dans toutes les matières. Pour tous les professeurs d’histoire-géographie, comme pour mon frère, l’important, ce n’est pas de leur dicter ce qu’ils doivent penser, mais de leur donner des outils pour réfléchir par eux- même, faire des choix raisonnés et bien grandir.

Quels seront les thèmes proposés au concours ?

Je fais confiance aux professeurs qui seront dans le jury pour les déterminer. Je donnerai seulement mon avis. Je crois par exemple qu’on n’est pas obligé de commencer par la liberté d’expression. Le Prix Samuel Paty ne doit pas se résumer à ce pour quoi mon frère a été tué : des carricatures, la liberté de la presse, les valeurs de la République. Ce doit être plutôt un prix célébrant les valeurs pédagogiques dispensées pendant les cours d’Enseignement Moral et Civique. Mon frère était quelqu’un de très ouvert, curieux de nature, avec beaucoup de domaines de prédilection.

Samuel Paty est aujourd’hui un symbole…

Pour la France entière, il est devenu un symbole, élevé au rang de martyr de la République, de hussard noir. Mais pour moi, c’est mon frère, toujours mon frère. Ce Prix permet de donner un sens à l’absurde. Faire en sorte que quelque chose de bien ressorte de cet assassinat, c’est tout ce qu’il nous reste. Cette mort est injuste. Il faut que ça change, que les professeurs puissent enseigner sans avoir peur d’être agressés. On ne pourra pas mettre un policier derrière chaque enseignant, empêcher tout passage à l’acte, mais on peut les soutenir davantage. Cela fait hélas des décennies que l’Education nationale n’est plus cette grande famille qui faisait corps derrière ses enseignants.

Et vous, comment décriviez-vous votre frère ?

La photo retenue pour illustrer le prix Samuel Paty le résume bien. Elle est tirée d’un reportage sur le métier d’enseignant réalisé par la ville de Conflans-Saint-Honorine. On le voit en cours, devant un tableau, les mains ouvertes. Cette posture, c’est tout à fait lui. Celle qu’il prenait quand il me parlait. Il était habité par son métier. Il était d’ailleurs référent culture pour le collège, et avait à ce titre créé un lien avec l’Institut du Monde arabe.

Quatre mois après, les messages continuent-ils d’affluer ?

Après sa mort, mes parents ont reçu beaucoup de témoignages, des mots très touchants, venant du monde entier, même des Etats-Unis. Mais s’ils ont encore un ou deux courriers par semaine, on sait que ça ne va pas durer. On se souviendra du nom de mon frère, de sa décapitation, mais qu’est ce qui va réellement changer ? Le corps enseignant essaie de bouger les choses. Mais il faut que l’institution soit derrière.

Au-delà de ce Prix, quelles sont les initiatives pour entretenir la mémoire de votre frère ?

C’est vrai. La mairie de Villeneuve-Loubet a baptisé une place en mémoire de mon frère, "assassiné pour avoir enseigné les valeurs de la République", devant un collège dès le mois de novembre 2020. Une école maternelle va porter son nom au Cap d’Ail (Alpes-Maritimes), une autre à Béziers. En Bretagne, ce sera une place devant un collège. Dans l’Allier, une médiathèque. A Toulouse, une rue. Les élus locaux, qui sont souvent d’anciens profs, ont été très affectés par cet assassinat. Tout ça nous a beaucoup touchés.

Le gouvernement, lui, a-t-il pris des mesures ces quatre derniers mois ?

Il fait énormément de choses. La loi contre le séparatisme prévoit des mesures. Il y a des discussions avec les référents musulmans de France pour développer le vivre ensemble. Mais on rencontre toujours des difficultés : les vidéos mensongères sur mon frère par exemple n’ont été effacées par Facebook qu’il y a une dizaine de jours. Après de nombreux signalements à la plateforme Pharos et après deux constats d’huissiers envoyés par notre avocat.

Certains enseignants ont peur…

A Ollioules, un collège devait en effet être baptisé collège Samuel Paty, mais parents et enseignants ont eu peur et le projet a été abandonné. Mais mon frère n’a pas été tué en raison de son nom, mais parce qu’il faisait ce métier. Aujourd’hui, le corps enseignant, comme une partie de la population, a peur. Il est vrai qu’on lui a martelé pendant des années de ne pas faire de vagues. C’est justement pour ça que c’est important de montrer que certains résistent. Le jury sera présidé par Christophe Capuano, l’ami de mon frère, professeur d’histoire, qui a lu la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs lors de la cérémonie d’hommage. Il l’a écrit : "Samuel, nous ne t’oublierons pas". Si tout le monde se résigne, nous ne sommes plus un pays de liberté. Les valeurs de la République, ce sont aussi celles-là.

Comment allez-vous aujourd’hui ?

J’ai repris mon travail de soignante un mois après les faits, en essayant de rester aussi fière et aussi digne qu’auparavant. Je ne veux pas véhiculer auprès de mes collègues le poids de ma peine. J’essaie de faire en sorte de ne pas changer, de devenir même un peu meilleure. Je ne veux pas laisser cet acte insoutenable me prendre plus qu’il ne m’a pris. Ce qui compte n’est pas de savoir si les responsables vont prendre 30 ans de prison, mais s’il y aura bien un avant et un après la mort de mon frère, de s’assurer que les choses changent radicalement. Les services de Santé et l’Education Nationale, deux maillons essentiels de la France, sont aujourd’hui mis à mal. Au temps du premier confinement, tout le monde s’est mis au balcon pour applaudir les soignants. Cette fois, je dis aux enseignants : "c’est moi qui vous applaudis ; demain, c’est peut-être vous qui nous sauverez"."

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