30 janvier 2010
(liberation.fr , 26 jan. 10). "Des sociétés privées comme PSA, soumises au code du travail, ont aménagé horaires et menus aux besoins des pratiquants.
C’est vendredi à l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en banlieue nord de Paris, les ouvriers sortent des lignes de montage qui construisent la nouvelle Citroën C3 pour la pause déjeuner. Certains se dirigent vers le « self », d’autres vers la salle de prière qui se trouve au milieu de l’atelier. La prière du vendredi est la plus suivie de la semaine : « Cet été, avec l’accord de la direction, raconte Hassan Chnaiti, 30 ans délégué du personnel, nous l’avons même agrandie pour la soixantaine de personnes qui viennent y prier pendant les pauses. » Chez PSA, ces salles de prière sont un des acquis des grèves de 1982. Les ouvriers avaient alors débrayé pour plus de liberté syndicale, une augmentation des salaires, et davantage de dignité. Les salles de prière n’étaient pas une des revendications principales du mouvement, mais elles se sont greffées au mouvement, réclamées par des responsables syndicaux de la CGT après le 29e jour non travaillé. Hassan Chnaiti n’a pas connu ces grèves, mais son père travaillait sur le site de Poissy (Yvelines) et son oncle sur celui d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) : « Mon père m’a en effet raconté que c’était interdit à son époque de faire la prière à l’usine. Comme il n’y avait pas de salle aménagée, il priait au bord des lignes de montage et c’était très dangereux. »
Depuis trente ans, la gestion de l’islam en entreprise est devenue un réflexe chez PSA. Pendant la période du ramadan, les pauses déjeuners sont adaptées aux horaires de la rupture du jeûne. Les musulmans pratiquants ont droit à cinq minutes de plus pour manger, les non-musulmans en profitent pour fumer une cigarette ou boire un café. Des sandwiches hallal cohabitent avec ceux au saucisson sec dans les distributeurs, et pour Hassan, même si les musulmans sont majoritaires parmi les 45 nationalités présentes, pas question d’en profiter : « Ce n’est pas dans notre religion, assure-t-il. Franchement au travail, on ne parle jamais de ça, mais de notre boulot, du foot, du salaire de Sébastien Loeb qui fait la pub pour la C3… Quand l’islam fait les gros titres des journaux, les collègues nous demandent juste : "Pourquoi c’est toujours vous les vedettes ?" » Seul regret pour Hassan, que le restaurant de l’usine ne propose pas de plats hallal : « Comme je n’ai pas le droit à la viande non ritualisée, je mange beaucoup de légumes et de frites. Du tout-hallal, ce serait mieux. »
Casquette. Sur le site de PSA à Poissy, les ouvriers musulmans n’ont pas ce problème. Le self propose du poisson et des œufs à tous les menus. Sur une ligne de montage, une jeune femme qui a recouvert son hijab d’un foulard coloré prépare le tableau de bord de la nouvelle DS3. Les extrémités du foulard sont dissimulées sous la blouse grise obligatoire de PSA. Si elle travaillait sous une voiture, elle devrait porter en revanche une casquette sécurisée et renforcée : « Aujourd’hui, chez PSA Poissy, rappelle Patrice Duchene, responsable de la communication, il y a 14% de femmes tous postes confondus, et dans les recrutements actuels, ce sont près de 20% de filles qui sont engagées. Certaines portent le voile, mais cela reste assez rare. Cela dit, on encourage en règle générale les filles à s’attacher les cheveux pour des raisons de sécurité. »
Fêtes religieuses. Entreprise privée, PSA applique strictement les recommandations de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) : « Le port d’un signe religieux en lui-même ne peut être considéré comme prosélyte… Il convient de vérifier que la pratique religieuse n’entraîne pas un accroissement des risques professionnels. » Moniteur sur une ligne de montage, Mohamed Zareen, 30 ans, français d’origine sri-lankaise, a les horaires de prière sur un calendrier accroché à l’intérieur de son établi : « Ici on a des acquis depuis longtemps, et franchement, ce qu’on a nous suffit. Pour ma femme employée à EDF, ça ne se passe pas aussi bien. Elle se cache pour faire la prière. Ses collègues le savent, mais pas la direction. »
Pourtant depuis 2008, la direction d’EDF fait des efforts. Ses syndicats lui ont fait remonter des questions de leurs chefs de service sur les demandes de congés lors de fêtes religieuses qu’ils ignoraient. Le comité d’entreprise et les directions de ressources humaines, aidés par l’agence de consulting, Cultes et Cultures (voir ci-contre) ont à cette époque lancé une enquête au sein de leurs différents métiers. Ensemble, ils ont travaillé à la rédaction de documents à l’attention des managers, diffusés depuis octobre 2009. Ces repères sur le fait religieux ne sont que des recommandations qui rappellent que si EDF a une mission de service public, elle ne relève pas du droit de la fonction publique. Elle ne peut donc pas restreindre l’expression des convictions ou des pratiques religieuses comme c’est le cas pour les administrations où la neutralité est strictement appliquée.
Dans le public, les fonctionnaires ne peuvent porter de signes religieux, demander un lieu de prière, car il leur est interdit d’afficher leurs convictions religieuses, politiques et philosophiques. Une particularité du droit français : « A EDF, on a privilégié le dialogue, explique Philippe Hagmann, directeur des ressources humaines et de la promotion de la diversité, car sur ces questions, il y a une grande confusion, entre l’idée qu’on se fait de la laïcité, c’est-à-dire pas de religion, et l’obligation d’organiser la liberté des cultes. Historiquement, il y a des entreprises qui ont été confrontées plus tôt que nous à ces questions : les secteurs de l’automobile ou du bâtiment. »
« Subjectivité ». Pour l’instant, peu de PME ont fait appel à des sociétés de consulting ou au réseau IMS-entreprendre pour la cité qui regroupe 240 entreprises et qui a édité un guide pour gérer la diversité religieuse. Optimiste, Dounia Bouzar de l’agence Culte et Cultures pense que les PME feraient preuve de plus de bon sens : « J’ai l’impression qu’elles ont trouvé des solutions par le dialogue. Le problème des grandes entreprises, c’est que c’est souvent la subjectivité du chef de service qui fait loi. » PDG d’une chaîne câblée, PME en pointe sur la diversité, car diffusée avec succès en Afrique, aux Antilles et au Maghreb, Olivier Laouchez la contredirait presque. Lui, il ne veut pas entendre parler de salle de prière à Trace TV : « Pour les cinq salariés musulmans de mon entreprise, résume-t-il, les horaires sont déjà aménagés pour le ramadan, les congés acceptés pour leurs fêtes. Je n’ai jamais eu de demande de local pour la prière, et je pense que je refuserais si c’était le cas. Je n’ai bientôt plus de place. De manière générale, à chaque fois que quelqu’un a une demande spécifique, je me pose la question de savoir si je peux répondre positivement aussi à toutes les autres demandes. » L’idéal dans ce cas serait de proposer un lieu unique pour tous les cultes."
Comité Laïcité République
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