14 avril 2018
"Le préfet de la Sarthe a interdit que soit jouée, par des enfants, la dernière scène de la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu ».
Les théâtres jumelés les Quinconces-L’Espal au Mans ont programmé les 10 et 11 avril Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci. Mais la préfecture de la Sarthe, réagissant à divers courriers de protestation émanant de catholiques intégristes, a demandé la suppression de la scène finale, d’une durée de douze minutes, dans laquelle des enfants portant des sacs à dos jettent des grenades factices sur le portrait du Christ d’Antonello di Messina.
Le préfet, via la Direction départementale de la cohésion sociale, a décidé de ne pas autoriser les neuf enfants à interpréter la scène « litigieuse ». Un communiqué précise : « Considérant l’âge des enfants retenus [le plus jeune ayant 9 ans, ndlr] pour la prestation et les caractéristiques de la scène à laquelle les mineurs devaient participer, le préfet de la Sarthe a refusé cette autorisation d’emploi par un arrêté préfectoral. Cet arrêté n’a pas vocation à interdire cette scène durant le spectacle, précise la préfecture, il vise uniquement à préserver les mineurs qui auraient dû y participer. »
Dans le paysage théâtral contemporain, le metteur en scène italien Romeo Castellucci fait figure d’enfant terrible auprès d’une mouvance qui juge ses œuvres provocatrices, sinon blasphématoires. Créé au festival d’Avignon 2011, Sul concetto di volto nel figlio di Dio a déjà suscité des remous, mais sans se voir censuré de la sorte. De nombreux théâtres ont néanmoins été cernés par des exaltés s’en prenant au dramaturge qui a toujours tenu bon.
« Rien à voir avec le moralisme »
Passé « la consternation et l’incrédulité », cette fois, l’Italien s’est adressé par écrit aux spectateurs du Mans : « Je ne vous montrerai pas ce soir la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu dans son intégralité. Il y manquera une scène importante dans laquelle interviennent des enfants. […] Il s’agit d’un passage complexe dont je ne peux que synthétiser le sens : c’est une forme de prière, un geste porté par l’innocence de l’enfance qui symbolise ici l’humanité entière, un geste qui fait référence à la Passion du Christ. Pour monter cette scène, dans chaque ville nous organisons régulièrement des rencontres préparatoires avec les enfants, afin de leur faire comprendre "l’homéopathie" de ce geste violent qui appelle des sentiments inverses. Depuis la première représentation de ce spectacle en 2010, ces rencontres sont conduites avec beaucoup de soin et délicatesse par mon assistant Silvano Voltolina qui a une longue expérience dans la pédagogie théâtrale spécifiquement auprès des enfants. […] Je ne partage donc pas du tout les raisons invoquées par la Direction départementale. […] La moralité ici évoquée est un mot vidé de son sens, un stéréotype douloureux et déplacé, qui ne surgit pas de la conscience profonde de l’individu mais plutôt d’une anesthésie de la conscience individuelle, […] une caricature de la véritable éthique, une offense à l’intelligence critique des adultes et des enfants. L’art est une éthique contenue dans une esthétique et cela n’a rien à voir avec le moralisme. »
En complément, François Berreur, patron des Solitaires intempestifs, éditeur de Romeo Castellucci, interpelle Françoise Nyssen, la ministre de la Culture, dans un communiqué : « Est-ce une nouvelle forme de censure républicaine ? Ce préfet a-t-il appliqué des consignes de la présidence ? Peut-être souhaitez-vous aussi relire les écrits de Romeo Castellucci pour vérifier s’ils ne menacent pas notre jeunesse ? »
Gilles Renault"
Voir aussi la rubrique Violences contre la pièce de Castellucci “Visage du fils de Dieu” (oct. 11-...) (note du CLR).
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