Député de Béjaïa, Secrétaire aux relations internationales du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (Algérie) 2 décembre 2007
Par Tarik Mira, Député de Béjaïa, Secrétaire aux relations internationales du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (Algérie)
Colloque « Religion and Politics in the New Europe », Parlement européen, Bruxelles, le 27 novembre 2007.
J’étais prévu pour intervenir sur le thème « Sécularisme et démocratie », qui a été l’objet d’un de mes articles datant déjà de deux ans. Je préfère, en filigrane à cette thématique, communiquer sur un sujet de plus en plus lancinant et pressant, à savoir : « La place de l’islam en Europe », ce qui correspond d’ailleurs mieux au programme de cet après-midi intitulé : « Egalité, Religion et Représentation en Europe ».
Le développement et le dynamisme de l’islam s’accompagnant d’une politisation manifeste dans ses terres traditionnelles et dans les aires d’immigration, c’est-à-dire l’Europe, nous fait poser une série de questions chez nous, dans le Sud, et chez vous, dans le Nord.
Ne se projetant pas de la même manière, elles nous interpellent cependant en commun.
J’aborderai ma communication en remontant le fil de l’histoire.
Longtemps invisible dans l’espace public européen, l’islam des premières générations d’immigrés était presque caché. Mieux encore, l’acculturation produite nécessairement par la rencontre dans les usines ou espaces partagés de socialisation a imprégné les esprits.
Dans le même temps, le choc colonial dans le Sud a amené des penseurs et des Ulémas (Docteurs de la loi) à se pencher sur leur sort de dominés. Les premiers salafistes (fin du XIXe et début du XXe siècles) ont préconisé la renaissance islamique (En nahda) à partir de l’intégration de certaines valeurs occidentales dans le corpus traditionnel religieux. Dès lors, ils considéraient que les retards technologique, matériel et économique étaient rattrapables.
Cette pensée audacieuse appelait à la rénovation de l’islam, dont le corps et les doctrine sont restés figés et sclérosés depuis le XIIe siècle, date de la fermeture des portes de l’Ijtihad. Ces premiers salafistes avaient pour noms Djamal Eddine El Afghani, Mohamed Abdou et, dans une certaine mesure, Rachid Ridha.
L’immigration de l’époque était ainsi directement ou indirectement encouragée à la piété et à des pratiques sécularisées.
Les Idées nationales pour accéder aux indépendances étaient également et fortement influencées par ce sécularisme ambiant. Le cas de l’Algérie que je connais le mieux est, à cet égard, édifiant.
La conquête des indépendances par les pays musulmans n’a pas tari les flux migratoires du Sud vers le Nord. Une nouvelle génération d’immigrés va bientôt apparaître avec une autre caractéristique, l’installation définitive en Europe, et frapper aux portes des marchés économique -de plus en plus restreint- et politique, qui, lui, a du mal à s’ouvrir.
Simultanément, l’islamisme ou l’islam politique prend un essor considérable dans l’aire musulmane et en immigration.
L’Europe est confrontée pour la première fois à un flux migratoire, désormais faisant partie de elle-même, qui n’est pas d’origine judéo-chrétienne. De l’autre côté, l’islam est face à une situation inédite de religion minoritaire, qui plus est dans des sociétés d’origine chrétiennes mais fortement sécularisées.
De part et d’autre, les repères sont bouleversés et l’incompréhension s’installe. Les regards croisés se chargent de représentations tronquées ou relevant du politiquement correct, alors que les systèmes d’intégration – républicain et assimilationniste, d’un côté ; communautariste et multi culturaliste, de l’autre- semblent essoufflés.
Que faire ?
Je pense que l’idée de la laïcité n’est pas épuisée. Elle est toujours jeune et renouvelable. Elle doit constituer le socle commun et partagé afin d’éviter les incompréhensions et les guerres religieuses.
L’espace public doit être préservé du prosélytisme et donc des signes ostentatoires, de tous les signes religieux.
L’enseignement est essentiel comme outil d’accès au savoir et au dépassement des clichés et stéréotypes. C’est dans ces lieux que s’apprend la tolérance. Le secteur de l’éducation doit continuer à bâtir ses programmes à base de la raison et de la rationalité. Cependant, l’approche de l’histoire doit être revue, singulièrement pour la période coloniale. Il y a désormais non pas une seule mémoire mais plusieurs mémoires.
Des facilités doivent être accordées à l’exercice du culte musulman. Des efforts dans les domaines économique et social sont à inventer pour une intégration réussie, condition à l’émergence d’une classe sociale moyenne porteuse de valeurs démocratiques. Il est, aujourd’hui, anormal que le poids démographique et sociologique de l’immigration d’origine musulmane- croyante ou pas- ne se reflète pas dans les institutions politiques nationale et transnationale européennes.
En même temps, la réaffirmation avec force et vigueur d’un certain nombre de valeurs comme la liberté de conscience, avec la liberté d’expression qui la sous-tend, est vitale pour la démocratie, à protéger ici, et à conquérir là-bas.
Céder par exemple au télé prosélyte, Tariq Ramadan, à la suite des fondamentalistes protestants d’Amérique, qui demande l’enseignement, dans les écoles européennes, du créationnisme à côté de la théorie de l’évolution, est extrêmement périlleux.
Faire des concessions là, c’est déboucher demain sur le terrain de la symbolique dont la femme est l’enjeu majeur.
Le néo-salafisme et ses forces agissantes, qui se sont arrogés le droit de parler au nom de tous les musulmans, veut réintroduire un néo-patriarcat qui se nourrit de ses racines bédouines et méditerranéennes. Je n’ai pas besoin de vous décrire la part du mâle par rapport au féminin dans ces deux traditions, mêlées en maints endroits en terre musulmane.
La question de la femme est la ligne de fracture entre laïcs et religieux dans nos contrées.
Je suis Algérien et vis dans mon pays. J’ai assisté à un phénomène unique en son genre qui mérite méditation. En 45 ans, soit de l’indépendance à maintenant, j’ai vu la femme algérienne se dévoiler puis se revoiler. Dans mon pays, la législation, l’enseignement et l’environnement communicationnel participent lourdement à l’enracinement de ce fait. L’Europe qui s’appuie sur les droits de l’homme ne peut pas laisser un interstice dans sa législation, au nom du relativisme culturel, qui puisse favoriser ce phénomène. C’est de la discrimination, l’exact contraire de cette philosophie humaniste. L’égalité des droits est fondamentale à l’ancrage de la démocratie. Avec la liberté, elle constitue le socle de la laïcité.
Je ne suis pas spécialement partisan de la laïcité à la française, qui a sa propre histoire, et en plus je conçois cette doctrine en mouvement, mais j’ai applaudi à l’interdiction du port du hidjab dans l’espace public hexagonal.
Je pense que derrière l’instrumentalisation de l’islam à des buts politiques, on assiste à la mise en place du 3ème age du totalitarisme. La différence par rapport à ses prédécesseurs - le fascisme et le communisme - réside dans le fait que les premiers sont séculiers, quand bien même le fascisme est en connexion en certains circonstances avec l’église, et les deux systèmes sont d’origine européenne. L’islamisme présente deux caractéristiques propres : religieux et non européen.
La chute des deux totalitarismes à des dates différentes a permis une transition rapide vers la démocratie et la construction européenne élargie. On est en droit de se poser la question de savoir si les deux critères – sécularité et européanité – n’ont pas été des éléments facilitateurs de cette immense mutation. La question mérite d’être posée.
Quant à l’islamisme qui, certes, gouverne qu’en Arabie Saoudite et en Iran, mais exerçant son magistère moral sur nombre d’esprits et son ministère législatif dans nombre de secteurs - éducation et justice-, quel sera son sort ? Je répondrai partiellement à cette dernière question à la fin de ma communication.
Le défi demeure commun à l’ensemble des démocrates et laïcs du Sud et du Nord pour affronter, ici et là, avec nos valeurs et de l’entraide ce phénomène éminemment politique et idéologique.
J’ai énuméré sommairement quelques réflexions mais je suis persuadé que l’implication des élites d’origine musulmane, y compris religieuses, dans le débat de cette nature est indispensable pour faire avancer les choses afin de créer un vivre ensemble acceptable pour tous. Je reste raisonnablement optimiste malgré l’apparition de choses lourdement inquiétantes dans l’islam.
L’aggiornamento de cette religion est à venir. Pour toutes les raisons exposées plus haut, le renouveau de l’islam pour accepter définitivement, sinon durablement, le fait laïc va provenir en partie de l’Europe Alors la sécularisation de l’islam du Nord aidera à l’enracinement de la démocratie dans l’islam du Sud.
Tarik Mira
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales