Contribution

La Mission Debré sur la laïcité à l’école : quand le Parlement assume ses responsabilités (P. Foussier)

Par Philippe Foussier, président délégué du CLR. 15 avril 2015

A l’instar de la méthode d’élaboration de la loi de 1905, la Mission Debré de 2003 sur « la laïcité à l’école » demeure un modèle positif de ce que le Parlement peut réaliser en terme de débat serein et constructif pour faire progresser la laïcité.

La Mission d’information parlementaire sur la laïcité à l’école a été crée le 27 mai 2003, installée le 4 juin et a publié son rapport le 4 décembre de cette même année. Elle a ainsi travaillé parallèlement à la Commission Stasi mais à la différence près qu’elle a centré ses réflexions et ses propositions sur l’école. Elle aussi a prôné, entre autres, une loi pour sortir de la confusion voir de la pagaille qui régnait depuis 1989 dans les établissements scolaires sur la question des signes religieux. Avec à sa tête le président de l’Assemblée nationale lui-même, cette mission d’information était composée à la proportionnelle des groupes et y figuraient entre autres Christian Bataille, Jean Glavany, Jean-Pierre Blazy pour le PS, François Baroin, Jacques Myard, Yves Jego ou Marie-Jo Zimmermann pour la droite ou encore Jean-Pierre Brard (PCF) et Jacques Desallangre (MRC).

Contre l’impuissance du politique

En 26 séances, 37 auditions et tables-rondes, la mission sur la laïcité à l’école avait entendu plus de 120 personnes et un forum internet avait permis de recueillir quelque 2 200 messages en seulement six semaines. En préambule au rapport, il était indiqué que les députés avaient été « frappés par le décalage entre les chiffres officiels fournis par les administrations concernées et la situation sur le terrain, telle que la vivent au quotidien les enseignants et les chefs d’établissement ».
« La médiatisation de tous les incidents qui surviennent dans les établissement scolaires, les prises de position publiques des différentes parties prenantes obligent le législateur à prendre position et à agir. Faute de quoi son silence, ses hésitations, ses divisions seront interprétées par une large part de l’opinion comme un aveu de faiblesse, un signe d’impuissance, qui ne fera qu’accentuer l’attractivité des thèses extrémistes et les dérives communautaristes », observait Jean-Louis Debré, le président de la mission.
En se référant aux circulaires Jean Zay, du nom du ministre de l’Education du Front populaire, le rapport jugeait que « la confusion entre la manifestation intime et sereine de la foi par le port d’un signe religieux et l’expression d’un choix idéologique et politique – lequel n’a assurément pas sa place dans l’espace scolaire, comme en est convenu à l‘unanimité l’ensemble des membres de la mission – , s’est trouvée renforcée chez des enfants et des adolescents en construction. Pour ceux-ci, la distinction entre les deux espaces est d’autant plus floue que le discours médiatique – parfois schématique –n’aide pas à faire la part des choses ».
Le rapport des députés cite abondamment les témoignages des praticiens de l’Education nationale et on y retrouve assez largement un constat qu’avait établi une année après le rapport Obin mené par un groupe d’inspecteurs de l’Education nationale, alors censuré par un gouvernement soucieux de ne pas faire de vagues… Comme si nier les problèmes facilitait leur résolution.
Les parlementaires avaient aussi été impressionnés par le témoignage de la jeune Kaïna Benziane , sœur de Sohane, morte brûlée vive au pied de la tour où elle vivait à Vitry-sur-Seine le 25 mars 2002. Car lors de la reconstitution des faits, des applaudissements ont accueilli la sortie de la fourgonnette de police de l’auteur suspecté de l’avoir aspergée d’essence, âgé de 19 ans.

Religion et contrôle social

« L’école doit garantir à chacun la possibilité de se mettre à distance des appartenances et des croyances des autres mais aussi des siennes propres. C’est le seul moyen de permettre sans arrière-pensée de domination des échanges et de la fluidité entre les croyances individuelles. C’est la vraie garantie de la liberté de conscience des élèves », observaient les députés. On mesure à quel point ces évidences quant au rôle de l’école sont battues en brèche depuis des années par l’emprise religieuse et en particulier par des lectures fondamentalistes des religions.
« C’est en redonnant à l’école tout son poids et tout son rôle dans la diffusion d’un savoir neutre et supplantant les croyances et les préjugés que l’on fera reculer la détestation de l’autre », pointaient encore les rapporteurs. Hanifa Cherifi, alors chargée de mission au ministère de l’Education nationale et très au fait des problématiques du terrain s’agissant de la progression de l’intégrisme islamiste, avait souligné devant la mission le fait que « contrairement à la thèse souvent entendue, le voile n’est pas le signe d’une appartenance religieuse musulmane. C’est le signe de l’appartenance à l’islam fondamentaliste. Le port du hidjab peut être subi ou assumé volontairement par les femmes, cela ne change rien à la nature de ce voile. Si certaines jeunes filles ou femmes disent l’avoir adopté librement, il faut regarder le milieu dans lequel elles évoluent. L’ambiance générale dans certains quartiers est marquée par un retour aux normes islamiques. Dans certains contextes, c’est désormais la version de l’islam fondamentaliste qui prime et s’impose comme norme à l’ensemble, avec un véritable contrôle social des membres. Contrôle social qui s’exerce notamment sur les femmes ».
Une approche corroborée par des « expertes » d’autres disciplines, comme l’avocate franco-algérienne Wassila Tamzali, pour qui « les sociétés du sud méditerranéen sont restées figées sur une attitude fondée sur l’apartheid des femmes, c’est-à-dire l’empêchement de circuler des femmes. Je ne joue pas avec les mots, disait-elle aux députés. Il s’agit bien de la culture de mon pays que nous sommes en train d’essayer de vaincre ».
Pour la psychanalyste Elisabeth Roudinesco , « en interdisant le port du voile à l’école, nous favoriserons la lutte des femmes musulmanes en faveur de la laïcité dans les pays islamiques. Nous étions opposés à la pratique de l’excision et de la polygamie, nous les avons interdites. Il faut toujours favoriser ce qui peut être émancipateur. Si le voile est autorisé, les jeunes filles quoi le portent n’auront plus aucun recours lorsqu’elles souhaiteront l’enlever et qu’elles seront sous l’emprise de leurs familles ».

Temps perdu

En conclusion du rapport, la mission d’information de l’Assemblée avait formulé une série de préconisations, dont l’intervention de la loi sur les signes religieux. Mais pas seulement, comme s’agissant du rapport de la Commission Stasi , dont les recommandations ont été pour la plupart ignorées. Ainsi, le rapport insistait sur « la formation obligatoire à la laïcité de tous les personnels enseignants dans les IUFM, ce qui n’est plus le cas ». Il aura fallu attendre les 17 morts des 7, 8 et 9 janvier 2015 pour qu’enfin cela soit programmé.
Passons sur les autres préconisations, elles aussi oubliées par le gouvernement de l’époque, dirigé par Jean-Pierre Raffarin, comme par les suivants d’ailleurs. Comme c’est souvent le cas pour un rapport parlementaire, hormis les propositions, adoptées ici à l’unanimité, plusieurs contributions étaient venues enrichir le document. Christian Bataille (PS, Nord) jugeait ainsi que « l’enseignement du fait religieux que prône le ministre de l’Education nationale est redondant par rapport au contenu des enseignements aujourd’hui. Par contre, ce dont l’école a besoin, aujourd’hui, c’est d’un enseignement de la laïcité, afin d’inculquer à nouveau une véritable morale laïque et républicaine ». Nous étions en 2003. Que de temps perdu.

Philippe Foussier



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