Revue de presse

"La mise à mort du compromis" (Ph. Lançon, Charlie Hebdo, 12 av. 23)

16 avril 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Voir sur le site d’Arte la série "Esterno notte".

Lire "La mise à mort du compromis".

"Esterno notte, « extérieur nuit », est l’excellente série que Marco Bellocchio a consacrée à l’enlèvement et à l’assassinat, en 1978, d’Aldo Moro sur Arte. Aldo Moro, l’artisan du « grand compromis » entre la Démocratie chrétienne (DC) et le Parti communiste italien (PCI), allait à la messe chaque matin, nouait sa cravate sombre et se lavait beaucoup les mains.

Comme tous ceux qui avaient débuté leur carrière sous le fascisme, il n’était pas un ange, mais il était sans doute le moins pire d’entre tous : un grand professeur de droit sensible, intelligent, capable d’évoluer, doué de compassion et de sens du dialogue. Il est enlevé par les Brigades rouges, au cœur de Rome, le jour de mars où il allait présenter, tel un anti-César, son projet de compromis au Parlement. Ses gardes du corps et son chauffeur sont tués. Le 9 mai suivant, son corps est retrouvé dans une 4L rouge, dans une rue située à mi-chemin entre le siège de la DC et celui du PCI.

Les islamistes nous ont depuis rappelé que les terroristes aiment les symboles. En exécutant le dirigeant le plus ouvert de la Démocratie chrétienne, les Brigades rouges firent le boulot que tous les autres, les partis institutionnels, attendaient d’elles : renforcer le pouvoir des notables. La nuit extérieure, c’est la nuit que produisent et dans laquelle vivent tous ces gens-là.

La cible de Bellocchio est moins les Brigades rouges, qui ne sont jamais que des tueurs stupides et follement cohérents produits par les circonstances historiques, que les hypocrites « amis » d’Aldo Moro. [...] D’autres dirigeants de la DC, mâles en costume aussi pleurnichards que sinistres, défilent chez la femme de Moro, comme pour se faire consoler par elle de l’enlèvement de son mari, ou pour se faire pardonner par anticipation le fait qu’ils vont le sacrifier sur l’autel du « pas de négociation ». Soudain, constate-t-elle avec une ironique amertume, les compromis affichent leur refus du compromis : une farce bientôt sanglante. Le pape Paul VI, pour qui l’argent est « l’excrément du diable », est le dernier larron qui renonce à dire les mots qui pourraient contribuer à sauver la victime.

Une expression à la con et à la mode, aujourd’hui en France, est : « On lâche rien. » Ce qu’il peut y avoir d’obscène à l’employer quand on dispose d’un pouvoir, ce qu’il peut y avoir de tragique pour la liberté quand cette expression se répand, la série de Bellocchio le montre quarante-cinq ans après l’assassinat de Moro et le livre que Leonardo Sciascia écrivit, en direct, sur cette histoire [1]. Ceux qui ne « lâchent rien » en politique, ce sont les imbéciles, les cyniques et les lâches."

[1L’Affaire Moro (éd. Grasset, coll. « Les Cahiers rouges »), avec une bonne préface de Dominique Fernandez.


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Italie (note du CLR).


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