27 novembre 2012
"Bal Thackeray avait l’élégance chamarrée de symboles. Le dossier du large fauteuil où il trônait, un rien royal, était frappé du dessin d’un tigre gueule ouverte et crocs d’attaque. Le fauve qu’il était lui-même ne pouvait choisir autre mascotte. Bal Thackeray se délectait de sa réputation sauvage.
Quand ses funérailles ont culminé par sa crémation publique, dimanche 18 novembre, dans le parc Shivaji au coeur de Bombay, la capitale économique de l’Inde s’est figée dans un hommage respectueux. La masse éplorée qui avait inondé les artères en ce jour de deuil a été évaluée par les médias indiens à 2 millions de personnes - un des plus gros records d’affluence de la cité. Bal Thackeray était âgé de 86 ans. Il était un peu l’empereur de Bombay. Un souverain auréolé de légende noire.
"Le génie de Thackeray a été de façonner un authentique fascisme indien", écrit le journaliste Praveen Swami dans le quotidien The Hindu. "Fasciste", l’infamie est lancée ! L’intéressé ne s’en offusquait d’ailleurs pas vraiment. N’a-t-il pas lui-même avoué son "admiration" pour Hitler, cet "artiste" ? Ou déclaré que l’Inde avait besoin d’un "dictateur" à la "poigne de fer" ? A défaut d’avoir pu assouvir ses rêves de dictateur - la démocratie indienne l’en préserve -, Bal Thackeray aura pesé de toute sa "poigne de fer" sur l’atmosphère de la mégapole.
Le tribun était passé maître dans l’art de jeter ses partisans dans les rues - à la poursuite d’un "autre" à châtier. Il commença carrière en ciblant les migrants d’Inde du Sud, accusés de faire main basse sur la ville. Ce furent ensuite les syndicalistes "rouges" dans les quartiers ouvriers minés par le déclin de l’industrie textile. Puis les musulmans dont il dit un jour qu’ils "se répandent comme un cancer" et qu’ils officient en Inde comme "une bombe nucléaire du Pakistan". Les migrants d’Inde du Nord (Bihar, Uttar Pradesh) suivirent dans le tableau de chasse. Et il n’est pas jusqu’à l’université, où les hommes de Bal Thackeray brûlèrent lors d’autodafés des livres de mal-pensants, qui n’ait été touchée par les nervis.
Ce grand manège de l’ostracisme tournoyant cadre assurément mal avec l’image d’un Bombay cosmopolite et libéral. Le paradoxe n’est en fait qu’apparent : plus la cité se hissait au rang de métropole économique, plus les autochtones se sentaient déstabilisés par le maelström de mutations sociales et culturelles accompagnant pareil essor. [...]
Au nom de la protection du marathi, la langue du Maharashtra - l’Etat dont Bombay est la capitale -, il imposa en 1996 que la ville fût rebaptisée Mumbaï, le nom autochtone. Il inventa le régionalisme d’extrême droite à l’indienne. Le cocktail idéologique qu’il composa fut si efficace que le Shiv Sena n’en finit pas de diriger la municipalité.
Hommage au héros disparu, donc. Et gare aux voix dissonantes ! Une étudiante de 21 ans, Shaheen Dhada, en fit la cuisante expérience. Le jour même des funérailles, elle posta sur Facebook un message à contre-courant de la dévotion ambiante : "Mumbaï s’est immobilisé par crainte et non par respect." Le lendemain, elle fut arrêtée par la police. Motif : "Avoir promu l’animosité entre les classes." L’une de ses amies qui avait cliqué "aimer" son post de Facebook connut le même sort.
Alors que la rumeur populaire enflait sur l’existence du message hérétique, les gros bras du Shiv Sena entrèrent en action : ils saccagèrent en représailles la clinique de l’oncle de Shaheen Dhada, un médecin orthopédique. "Nous vivons dans une démocratie, pas dans une dictature fasciste", s’insurgea Markandey Katju, le président du Conseil de la presse indienne. Les deux jeunes filles furent finalement relâchées."
Comité Laïcité République
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