Jacques de Saint Victor, historien du droit et des idées politiques. 16 décembre 2017
"[...] Il y a trois phases dans l’histoire de notre laïcité.
La première, qui met fin au Concordat à partir de la loi de 1905 et va jusqu’à l’immédiat après-guerre, est une phase de laïcisme un peu étroit, voire sévère : on traque dans l’espace public toute forme de religiosité. De grands débats ont par exemple eu lieu pour savoir s’il fallait interdire les processions. Si le Conseil d’État a maintenu un certain nombre de libertés, l’esprit républicain était assez rigoureux pour ne pas dire, parfois, sectaire vis-à-vis de la religion. Pourquoi une telle attitude du politique ? Parce qu’en face se dressait l’église de l’époque, très rigide, refusant le siècle. C’est dans ce contexte que l’on s’aperçoit qu’on ne peut parler de la question laïque sans parler de la question religieuse, qui est son pendant.
À partir des années 1950, intervient une évolution de la religion catholique avec l’église conciliaire et Vatican II. Cette évolution va de pair avec une tentative d’interprétation nouvelle de la loi de 1905 et, au-delà, de la laïcité. On commence alors à parler, dans la pratique, de laïcité « inclusive » (terme qui apparaît dans le discours à partir des années 1970-1980). La loi Debré de 1959 (sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, ndlr) s’inscrit dans cette perspective. On est un peu plus tolérant vis-à-vis des expressions religieuses dans l’espace public.
Le paradoxe est qu’un certain nombre d’historiens, comme Jean Baubérot et d’autres, sont restés sur cette ligne au moment où, à partir des années 2000, s’opère un retour d’une forme de religiosité revendicatrice. Non plus celle de l’Église du début du XXe siècle mais d’un islam radical, avec l’expression d’un prosélytisme religieux. Or ce prosélytisme a toujours été au cœur du combat laïc à la française. Dans notre pays, ce combat ne vise pas, comme chez les anglo-saxons, à essayer de protéger les religions contre une intrusion de l’État mais, au contraire, de protéger la communauté politique du prosélytisme religieux.
De ce point de vue, les tenants d’une laïcité dite « inclusive » ou « positive » de la deuxième phase se sont trouvés en porte-à-faux. Tant qu’il s’agissait d’une religiosité catholique qui se transformait et s’adoucissait avec l’église conciliaire, cela fonctionnait. Mais face au prosélytisme nouveau, cette interprétation de la laïcité est inadaptée et il faut revenir, en ôtant toute forme d’adjectif, à la laïcité telle qu’elle était établie par les textes que l’on vient d’évoquer.
C’est donc revenir non seulement à la lettre mais aussi à l’esprit de la loi de 1905. Même s’il faut évidemment éviter tous les excès de certaines lois qui à l’époque ont découlé de la loi de séparation de l’Église et de l’État. Le plus important reste de ne pas remettre en cause l’architecture de la loi, car c’est non seulement l’un des fondements du pacte républicain mais aussi une des garanties de la paix civile. [...]"
Lire « La laïcité est une boîte à outils juridique. Il ne faut pas y toucher ».
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