Edito

La laïcité dans la hotte du Père Noël (20 déc. 10)

20 décembre 2010

La laïcité est de retour, revenue dans la hotte du Père Noël et exhibée allègrement par les leaders politiques, mais on ne sait s’il s’agit de conviction ou d’opportunisme ! La laïcité, en quelques jours, a été appelée à la barre par une éminente dirigeante du Front National, a été au cœur d’un banquet de 900 personnes autour de Jean-Louis Borloo comme à la grande époque du radicalisme et, enfin, le thème d’un colloque de socialistes à l’Assemblée nationale se rappelant du temps où presque tous les élus de gauche étaient d’ardents défenseurs de la laïcité. « La laïcité revient au cœur du débat politique », titre pour la première fois depuis trente ans le quotidien Le Monde daté du 15 décembre 2010. Ce n’était plus arrivé depuis les grandes manifestations de 1984 autour de la question du financement des écoles privées ! Il n’y avait plus guère que les associations laïques pour tenir des colloques, au demeurant largement fréquentés, à travers la France pour défendre la laïcité, mais dont les médias avaient définitivement décrété qu’elle était trop ringarde pour être traitée.

Tous les Républicains sincères devraient donc se réjouir du retour de la laïcité dans les discours de personnalités politiques et souhaiter que celle-ci prenne place dans les programmes des futurs candidats à la présidence de la République. Mais on peut craindre les récupérations et les détournements, les manipulations, les tromperies. La laïcité est un outil qui exige l’engagement contre toutes les formes de racisme, toutes les discriminations, tous les enfermements de la pensée. Elle garantit la liberté de conscience, la liberté de pratiquer une religion ou de n’en pratiquer aucune, ou d’en changer. La laïcité n’est pas antireligieuse mais elle doit être intraitable avec toutes les formes de cléricalisme lorsque ceux-ci prétendent se substituer à la Loi commune. Ce sont donc toutes les autorités religieuses qui doivent respecter la loi de séparation et aucune religion ne saurait être stigmatisée en tant que telle, et aucune partie de la population stigmatisée en tant que telle ! S’il est important, sans culpabilité, de dénoncer certaines pratiques de l’islam et de condamner sans appel les tribulations intégristes, en particulier pour le sort fait aux femmes, il convient de ne pas oublier de dénoncer également l’implication d’autres autorités religieuses, aux côtés des forces politiques les plus conservatrices, contre la contraception, contre l’IVG, contre l’homosexualité, comme on a pu le constater à l’occasion de récentes campagnes électorales aux Etats-Unis, au Brésil, en Espagne…

Mais disons-le, si l’extrême droite, qui s’est toujours illustrée par un concubinage notoire avec le catholicisme le plus conservateur et intégriste, peut essayer de récupérer la laïcité à des fins politiciennes, c’est aussi parce que, pendant des décennies, la gauche et la droite ont été partiellement ambigües sur le sujet. Les responsabilités sont immenses de ceux qui ont voulu vider le mot laïcité de sens en lui rajoutant pour les uns l’adjectif « nouvelle », pour les autres celui de « moderne ». Les tergiversations d’un Premier ministre au moment de la première « affaire du voile » ou plus récemment lorsqu’il s’est agit d’intervenir en faveur de l’interdiction du port ostentatoire de signes religieux à l’école, les tentatives de réécriture du préambule de la Constitution, les politiques dites de « discrimination positive », de quotas, de statistiques ethniques, d’horaires réservés dans les piscines, la résignation face à la montée des communautarismes dans les hôpitaux publics, les écoles, les crèches, les velléités de « toilettage » de la loi de 1905 et enfin certains discours, comme celui de Latran à propos du prêtre et de l’instituteur, illustrent parfaitement cette situation.

Le temps des petites lâchetés doit s’achever. La laïcité est de retour parce que la République fout le camp, parce que chacun sent bien que tout se passe comme si nous étions condamnés à une société mercantile et communautarisée et devrions être résignés à l’impuissance politique. L’immense majorité des Français ne veut pas d’une République fragmentée en communautés et en droits différents. Il faut refaire sens pour que les jeunes se sentent citoyens avant d’être blanc, beur, feuj, corse ou breton. Qu’ils sentent et partagent la singularité de l’universalisme de la citoyenneté Républicaine. A défaut, les populismes ont de beaux jours devant eux comme en témoignent de nombreux suffrages en Europe.

La laïcité est l’objet d’un nouvel intérêt national et international car elle est porteuse de solutions pour vivre réellement ensemble dans l’égalité et le respect mutuel et non pas côte à côte, ou pire les uns contre les autres. Pour cela, bien sur, il ne faut pas oublier en route les droits sociaux.

La laïcité dans la hotte du Père Noël, c’est bien ! Mais ce serait encore mieux que celle-ci revienne au centre du débat politique pour répondre à un fort besoin de citoyenneté, de République et en aucune sorte servir de cheval de Troie aux populismes.

En cette fin d’année, faisons un vœu...

Patrick KESSEL

Président du Comité Laïcité République


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