Revue de presse

"La jeunesse vaut bien une messe lente" (Le Monde, 1er-2 sept. 24)

(Le Monde, 1er-2 sept. 24) 31 août 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "La jeunesse vaut bien une messe lente".

« Nouvelles spiritualités des jeunes » (6/6). La « Messe qui prend son temps », lancée par des jésuites pour attirer les moins de 35 ans, est une liturgie plus longue, qui laisse plus de place à la méditation et aux interactions. Autour de ce rendez-vous du dimanche soir, d’autres offres se développent, mêlant le spirituel, le social et l’écologie.

Par Gaétan Supertino

Une oreille peu habituée à la liturgie catholique ne percevra peut-être pas dès le départ la différence. Comme dans une messe classique, on y chante Kyrie eleison (« Seigneur, prends pitié », en grec ancien), on y fait des signes de croix, et lorsque le prêtre lance « Le Seigneur soit avec vous », les fidèles répondent en chœur « Et avec votre esprit ». « C’est bien une messe catholique, qui suit le missel romain [trame liturgique validée par le Vatican] », tient à préciser Benoît Thevenon, 33 ans, étudiant aux Facultés Loyola – l’institut d’études supérieures des jésuites, à Paris – et coordinateur général de la « Messe qui prend son temps » (abrégée en « MT »).

Il ne s’agit pourtant pas d’une messe tout à fait comme les autres. La « MT » a été spécialement conçue par la Compagnie de Jésus pour s’adresser à la jeunesse, alors que seuls 30 % des Français de moins de 25 ans se définissent comme « chrétiens » (Odoxa, 2022) – contre 50 % de la population générale –, et qu’à peine 7 % des catholiques de moins de 30 ans vont à la messe le dimanche (d’après une étude de 2018 codirigée par l’Institut catholique de Paris).

La grande innovation de la « MT », qui se tient tous les dimanches à 19 heures dans l’église Saint-Ignace (Paris 6e), est précisément qu’elle « prend son temps ». Alors qu’une messe classique dure environ une heure, celle-ci s’étale sur quatre-vingt-dix minutes. Au milieu de l’office, la liturgie s’arrête net, et fait place au silence. Un déroutant silence de vingt minutes, durant lequel les fidèles sont invités à méditer, seuls, les textes qu’ils ont entendus. Une musique rappelle ensuite les fidèles à leur siège, et chacun est invité à échanger avec ses voisins, par groupes de trois ou quatre, sur ce qui l’a touché durant la cérémonie.

« Une liturgie adaptée »
Une petite révolution : dans un monde catholique où la plupart des activités tournent autour du prêtre et où l’on s’interroge sur les dérives du « cléricalisme » (la concentration des pouvoirs entre les mains des clercs), ici, tous les fidèles sont appelés à s’investir, que ce soit pendant la messe ou en amont, du choix des musiques à la rédaction des prières. « C’est une liturgie adaptée à certaines attentes de notre époque, avec une dimension individuelle – la prière personnelle – et une horizontalité assumées : tout le monde interagit et le clergé n’est pas seul à diriger », résume l’historien Charles Mercier, auteur de L’Eglise, les jeunes et la mondialisation (Bayard, 2020).

Depuis qu’il a pris le poste de coordinateur général il y a trois ans, Benoît Thevenon est à la fois le chef d’orchestre et le visage de la « MT ». Celui qui se destine à devenir prêtre à l’issue de son cursus en philosophie et en théologie tente de maintenir cet esprit de communauté. Tous les dimanches soir, il invite les fidèles à partager un pot, et une fois par mois, un dîner. Il propose aussi un « cadeau » aux nouveaux. « Je leur distribue des Kinder à la sortie, s’amuse-t-il. Cela peut paraître idiot, mais je me dis qu’ils se sentent accueillis. »

Ce Lyonnais d’origine, issu d’une famille pratiquante mais « où l’on ne parlait pas non plus de Jésus tout le temps », doit sa vocation à une « expérience de la solitude ». Après différentes expériences marquantes avec la communauté catholique du Chemin neuf, l’idée de devenir prêtre commence à germer en lui. Il décide néanmoins de mener ses études d’architecte jusqu’au bout. « Je voulais être certain que je ne me lançais pas dans une vie religieuse pour choisir une bande de potes. Je ne voulais pas non plus être celui qui est devenu curé car il ne savait pas quoi faire d’autre », raconte-t-il.

Benoît Thevenon rencontre les jésuites il y a huit ans, à la chapelle de La Sapienza, l’université de Rome où il finit ses études d’architecte. Il décide finalement d’intégrer l’ordre et d’en assumer les conséquences, dont le célibat. « Cela m’a un peu refroidi, j’ai eu besoin d’un peu de temps pour cheminer avec cette idée. Mais j’ai pris conscience que, quoi qu’il advienne, nous sommes fondamentalement seuls sur terre. Célibataire ou non, on expérimente un manque, constitutif de notre être, que personne ne peut combler », raconte celui qui confie avoir eu « deux femmes qui ont compté dans sa vie ». Mais il assure que cette solitude ne lui pèse pas : « C’est une manière différente de nouer des relations. Il y a un désir d’être toujours disponible, et la “MT” participe de ce désir. Je la conçois comme un espace de joie et de consolation. »

« Grand amoureux » de l’Eglise, Benoît Thevenon assure « ne pas être aveugle sur ses limites ». « Il va falloir que l’Eglise fasse rapidement un pas de plus » sur la place des femmes, suggère-t-il notamment. Plusieurs fois dans l’année, il fait appel à une prédicatrice pour commenter les textes liturgiques et introduire la prière. En plus de la possibilité de se confesser auprès d’un prêtre, la « MT » propose des permanences d’écoute avec une religieuse. « Pour certains ou certaines, il est plus simple de se confier à une femme qu’à un homme. Or, il y a peu de lieux où l’on peut rencontrer une femme qui “représente” l’institution sans prendre rendez-vous », note-t-il.

La « Messe qui prend son temps » souffle cette année ses 25 bougies. Née à Paris, inspirée des exercices spirituels d’Ignace de Loyola (1491-1556), fondateur des jésuites qui invitait à « chercher et trouver Dieu en toutes choses » et à adapter sa foi à son époque, elle se décline aujourd’hui à Toulouse, Lille ou Bordeaux, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, en Suisse et au Canada.

En chute libre après le Covid-19, les effectifs repartent (un peu) à la hausse depuis deux ans. A Paris, environ un millier de fidèles la fréquentent à l’année, soit cent à deux cents par dimanche en moyenne. « La “MT” n’est peut-être pas l’initiative qui réunit le plus de monde, mais elle suscite des engagements forts et durables », souligne l’historien Charles Mercier.

« Tiers-lieu »
Les fidèles ont même un quartier général pour prolonger leurs échanges : la Maison Magis, créée il y a cinq ans par les jésuites et des jeunes de la « MT ». Ce « tiers-lieu » – comme le définissent les fondateurs –, situé non loin de Saint-Ignace, propose différentes activités : en plus de la préparation de la messe, on peut y suivre un accompagnement spirituel auprès des jésuites, animer des ateliers culturels, faire du bénévolat auprès des réfugiés accueillis par l’ONG Jesuit Refugee Service (JRS), intégrer des réseaux d’initiatives écologiques, accéder à un espace de « cowork », ou simplement boire un coup et déguster une bière locale au comptoir du bar tenu par des jeunes fidèles.

Plusieurs jeunes interrogés par Le Monde disent que la « MT » les a « réconciliés » avec la messe. « Quel que soit mon état, je m’y sens bien », observe ainsi Sabine Piveteau. Si elle a reçu une éducation catholique durant son enfance, cette médecin généraliste de 31 ans a rapidement quitté les bancs de l’Eglise en grandissant, trouvant même « rebutant » d’entrer dans une église avant de connaître la « MT ». Ophélie Omnes abonde. Originaire d’un village de l’Essonne, ayant grandi dans une famille pratiquante mais « ouverte », elle a été déçue par la plupart des paroisses qu’elle a fréquentées à Paris. « Quand on est catholique et progressiste, ce n’est pas facile de trouver un groupe dans lequel on peut s’exprimer. En ce sens, la “MT” a été une révélation pour moi », raconte cette consultante en droit et communication de 33 ans.

Reste la question de « l’après ». La « MT » et la Maison Magis sont ouvertes aux moins de 35 ans. Dans les faits, peu de fidèles contreviennent à cette règle, pour l’instant. « On ne jette personne dehors, mais si on devait en arriver à une majorité plus âgée, il faudrait intervenir. L’idée est de garder contact avec les jeunes », reconnaît Benoît Thevenon, qui finira aussi par laisser sa place. Certains nous ont confié qu’ils se sentent prêts à fréquenter une messe classique. Mais tous l’assurent : ils ne pourront plus se contenter d’une attitude passive.


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Le Monde "Nouvelles spiritualités des jeunes" (août 24) (note de la rédaction CLR).


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