Revue de presse

"La Grande Mosquée de Paris piégée par ses contradictions" (Le Figaro, 22 déc. 23)

(Le Figaro, 22 déc. 23) 22 décembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Les valeurs républicaines françaises d’un côté, les barrières morales d’Alger de l’autre, sans oublier l’apaisement avec les autres fédérations islamiques en France, le recteur de la « GMP » est devenu un équilibriste politique.

Par Jean-Marie Guénois

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Lire "Hier vitrine de l’islam de France, aujourd’hui dans la tourmente : la Grande Mosquée de Paris piégée par ses contradictions".

[...] Un doute plane en effet sur les orientations fondamentales de la Grande Mosquée de Paris qui revendique haut et fort son attachement aux valeurs républicaines françaises. L’attaque du Hamas a révélé une autre facette moins connue de l’institution : un alignement structuré, intime et exclusif sur une vision algérienne de l’islam, des intérêts et des solidarités de ce pays dans le monde arabo-musulman.

Cette mise au jour n’a en fait rien d’étonnant selon certains connaisseurs pour qui les liens fonctionnels entre la Grande Mosquée de Paris et l’État algérien ont toujours été une évidence. Le 20 décembre 2020, alors qu’il venait de prendre son poste en France, l’ambassadeur d’Algérie, limogé depuis, ne déclarait-il pas à la télévision algérienne : « La Grande Mosquée de Paris est d’abord algérienne et ne sera jamais autre chose. C’est ça le plus important. »

Autre secret de Polichinelle : Mohamed Louanoughi, nommé directeur général en janvier 2020, donc numéro 2 derrière le recteur Chems-Eddine Hafiz, est issu, selon plusieurs sources, de la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS) algérienne. « La mosquée de Paris, une ambassade bis », résume un expert.

Le conflit Algérie-Maroc en toile de fond

Même si un certain bouillonnement médiatique donne régulièrement du volume sonore et visuel à la Grande Mosquée de Paris, ce lieu religieux a « peu de prise, voire aucune, sur les musulmans de base », s’accordent à dire les spécialistes. La « GMP » reste tout de même la tête de pont de l’une des grandes fédérations de l’islam de France. Elle revendique un réseau de « 400 mosquées » ou salles de prières - « plutôt 200 », selon d’autres sources - soit entre 10% et 15% des lieux de culte musulmans en France.

Sous l’impulsion de son dynamique recteur, l’avocat Chems-Eddine Mohamed Hafiz, né en 1954 à Alger et arrivé à ce poste en janvier 2020, la Grande Mosquée de Paris a réussi à s’imposer en seulement quelques mois comme « la » vitrine de l’islam de France. Et ce, au détriment du Conseil français du culte musulman (CFCM). Me Hafiz a tout fait pour affaiblir et marginaliser cette institution créée en 2003 et représentative de la pluralité de l’islam de France.

Cette guerre déclarée à la tendance marocaine de l’islam de France est aussi une transposition du conflit latent entre l’Algérie et le Maroc. Ancien avocat du Front Polisario, soutenu par l’Algérie dans le conflit du Sahara occidental, le recteur peut compter sur le soutien de l’Élysée, Emmanuel Macron caressant l’espoir d’un rapprochement avec l’Algérie. La Grande Mosquée de Paris, pour minoritaire qu’elle soit, a fini par s’imposer comme le premier interlocuteur musulman de l’État français.

« Un islam ouvert »

La consécration a eu lieu lors d’un spectaculaire couronnement républicain le 19 octobre 2022. Ce jour-là, le président de la République fait le déplacement pour célébrer le centenaire de ce sanctuaire musulman financé par la France, en reconnaissance du sacrifice de « 100.000 » musulmans morts - toutes nationalités confondues - au champ d’honneur en 14-18. Le chef de l’État remet alors à Chems-Eddine Hafiz les insignes d’officier de la Légion d’honneur.

Ce dernier l’avait publiquement soutenu lors la campagne présidentielle de 2022. Dans un éloge flatteur, le président installe la Grande Mosquée de Paris comme « le » lieu de l’islam républicain : « Vous prônez un islam ouvert aux autres religions, pleinement inscrit dans la République » en portant « sans relâche la voix de l’équilibre, la voix de millions de musulmans de France qui respectent, aiment les valeurs de la République, loin des polémiques, très loin de ces minorités haineuses. »

Apaiser les relations

Les colonnes de cet édifice très médiatisé se sont toutefois largement fissurées depuis le 7 octobre, quand les terroristes du Hamas ont semé la mort en Israël. La Grande Mosquée de Paris a dû inévitablement choisir son camp. Ce même jour, la « GMP » annonçait la création de l’Alliance des mosquées, associations et leaders musulmans en Europe, l’Ammale. Parmi les signataires présents à cette réunion prévue de longue date, figuraient des leaders salafistes et des Frères musulmans. Dont Mustafa Seric, l’un des membres du Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR), une instance très influente des Frères musulmans sur le Vieux Continent.

Cette main tendue à la tendance frériste de l’islam, Chems-Eddine Hafiz l’a publiquement confirmée le 6 novembre en recevant la direction du mouvement Musulmans de France, ex-UOIF, à l’origine du lycée Averroès et inspiré des Frères musulmans. Dans un communiqué, la GMP et Musulmans de France indiquent vouloir « faire cause commune » et travailler à « l’apaisement » de la communauté nationale française. S’ils reconnaissaient « la recrudescence des actes antisémites » en France, ils dénonçaient d’abord, et avec force, la montée de « la haine et de la discrimination antimusulmanes ».

Trois jours plus tôt, dans le prêche de la Grande Mosquée de Paris, rien n’était dit contre l’antisémitisme, au moins dans ce qui était traduit en français du propos enflammé de l’imam qui dénonçait le « génocide barbare », le « crime de guerre à grande échelle » et la « politique d’extermination » contre les Palestiniens. Le religieux assurait par ailleurs que « ce peuple n’a jamais été terroriste » alors qu’il « subit une agression féroce depuis soixante-dix ans ». Un peuple qu’il appelait à la « résistance » en vue d’un « État » dont Jérusalem, « Al Qods al-Charif » prononcé en arabe, serait la « capitale ». Surtout, il justifiait cette guerre sur un plan religieux : « La question palestinienne est un sujet de grande sensibilité religieuse pour tous les musulmans. » Et appelait à la solidarité car « un musulman n’abandonne jamais un autre musulman ».

Dans la foulée, Chems-Eddine Hafiz n’appelait pas davantage à marcher contre l’antisémitisme et ne se rendait pas à la grande manifestation du 12 novembre. Deux jours plus tard, il dut pourtant désavouer publiquement l’un des imams de la Grande Mosquée, Abdelali Mamoun, qui avait remis en cause la véracité de l’explosion des actes antisémites sur RMC, avant de s’excuser face au tollé. [...]

Un autre dossier sensible reste à éclaircir concernant la mosquée de Paris : la nature de l’islam enseigné par son institut de formation des imams, al-Ghazali, alors qu’Emmanuel Macron affiche sa volonté de former des imams « en France et non plus à l’étranger ». L’objectif affiché de la formation est de « faire connaître l’islam du juste milieu, loin de tout extrémisme ». Mais une opacité objective règne sur le contenu des programmes et ses références. De fait, sur son site internet, al-Ghazali ne communique pas, sinon à la marge, sur son programme ni sur ses professeurs, pas plus que sur la bibliographie des maîtres musulmans auxquels il fait référence. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Islam,
Guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Palestine dans Israël (note de la rédaction CLR).


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