Revue de presse

« La gauche ou le peuple ? Le dilemme de La France Insoumise » (L. Benbara, lefigaro.fr/vox , 2 fév. 18)

Lenny Benbara, ENS Lyon, directeur de la publication de "Le Vent Se Lève". 3 février 2018

"[...] Pour schématiser, la stratégie populiste consiste à tenter de « fédérer le peuple », en articulant un ensemble de demandes sociales porté par un tribun, qui oppose rhétoriquement un « eux » - les élites, l’oligarchie - et un « nous » - la France des petits. C’est une construction discursive qui tente de « construire un peuple », et qui, dès lors, ne peut se contenter de parler à « la gauche », ou au « peuple de gauche ». La stratégie populiste a vocation à créer de la centralité et à occuper l’espace politique en se positionnant de façon transversale, c’est-à-dire en ne s’auto-définissant pas aux marges du jeu politique, comme c’était le cas auparavant lorsque l’on parlait de « gauche de la gauche », ou encore « d’extrême-gauche ». C’est ce qui a été mis en œuvre par la France insoumise au cours de la campagne présidentielle, en reléguant les vieux signifiants de gauche, en s’emparant de signifiants transversaux comme la patrie, et en articulant un ensemble de demandes sociales dans le discours. Jean-Luc Mélenchon a réussi à incarner une série d’entre elles : la demande de démocratie, celle d’égalité, celle d’autorité, celle d’écologie ou encore les demandes qui émanent des minorités.

Cependant, la période est maintenant différente et rend une stratégie « d’union de la gauche » plausible pour plusieurs raisons. D’abord parce que la stratégie populiste a été impulsée d’en haut, et que la conversion culturelle de la base de la France insoumise reste à faire. Il est tentant, dans les périodes de recul ou de défaite, de se rassurer auprès de signifiants tranquillisants comme l’est le signifiant « gauche ». Les périodes de stagnation sont propices aux réactions identitaires de type « c’est nous la gauche ». Ensuite, parce que la France Insoumise a hégémonisé un espace politique où elle peut s’emparer du signifiant « gauche » à peu de frais. Plus personne ne peut le lui contester, alors que la présence importante du PS rendait cette lutte pour le signifiant coûteuse auparavant. Enfin, pour des raisons électorales, car si le mouvement veut conquérir des villes lors des municipales de 2020, il devra nécessairement procéder à des alliances lorsque les choses seront mûres. Ces alliances se feront à l’évidence avec des forces dites « de gauche ». L’auto-inscription dans l’espace que constitue « la gauche » est donc une tentation très forte. À titre personnel, je pense que ce serait une erreur, car à long terme, l’enjeu pour ce mouvement est de dépouiller le FN des classes populaires et Emmanuel Macron des classes moyennes urbaines, et non de s’inscrire dans une identité politique structurellement minoritaire et en pleine dévalorisation symbolique partout en Europe. [...]

L’enquête post-électorale IPSOS nous apprend ainsi que Jean-Luc Mélenchon est le candidat qui a attiré le plus de votants qui ne se reconnaissent proches « d’aucun parti », devant Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Par ailleurs, en perspective dynamique, il faut prendre en compte deux enjeux qui sont liés : la capacité à être le second choix de nombreux électeurs ; et la capacité à agréger des votes au second tour, qui est le moment où la transversalité s’exprime le plus fortement.

En l’occurrence, selon l’enquête CEVIPOF du 16-17 avril 2017, Jean-Luc Mélenchon a réussi à être le premier second choix des électeurs non définitifs de trois candidats différents : Emmanuel Macron (26 % de ses électeurs non définitifs) ; Benoît Hamon (50 %) ; et Marine Le Pen (28 %). De plus, si l’on veut s’intéresser à la capacité à agréger au second tour, les candidats de LFI présents au second tour des législatives ont été capables de rassembler largement, sans pour autant contrecarrer totalement la vague macroniste. [...]

Au-delà de cette hésitation stratégique, le mouvement semble en proie à des divisions idéologiques notamment sur la question de la laïcité et du communautarisme. Peut-on parler d’une ligne Corbière et d’une ligne Obono ?

Sur ces questions, les choses semblent s’être apaisées depuis la rentrée. La laïcité est une des thématiques qui fracturent l’espace politique, de façon tout à fait transversale. De ce point de vue, je pense qu’une partie de la France insoumise est tombée un temps dans le piège tendu par Manuel Valls, qui a toujours cherché à cliver sur ces questions. À mon sens, l’erreur consisterait à devoir se positionner sur ce terrain. Il faut dépasser les clivages identitaires, mais surtout, il faut arrêter de remettre une pièce dans la machine médiatique. Il est vital, pour la France, de désidentitariser les débats, de remettre la politique au cœur de l’agenda. La perspective populiste offre une solution pour échapper à ces points de tension : c’est dans l’action politique que le peuple se construit, qu’il trouve son unité, et son indivisibilité. C’est l’absence de prise sur le réel, et c’est le sentiment de déclin qui poussent à polariser sur les questions identitaires, qui sont des machines à fracturer notre société. Au fond, le terme de laïcité renvoie au laos grec, au peuple dans son caractère indivisible. Ce n’est pas l’incantation médiatique qui permet cette indivisibilité du peuple, et sa constitution comme sujet, mais l’action et la souveraineté réelles. [...]"

Lire « La gauche ou le peuple ? Le dilemme de La France Insoumise ».


Voir aussi la rubrique La gauche et les classes populaires (note du CLR).


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