Revue de presse

"La gauche cannibale" (E. Conan, Marianne, 22 mai 15)

30 mai 2015

"Education, laïcité, statistiques ethniques, gestation pour autrui... La liste des sujets qui divisent la gauche est longue comme le bras. Mais ses dirigeants sont incapables d’en débattre. Ils ne savent que s’entredévorer. Et tant pis pour leurs électeurs...

[...] Sur la laïcité, le divorce est assumé entre une gauche Bianco et une gauche Badinter qui ne se parlent plus. Le président de l’Observatoire de la laïcité nommé par François Hollande observe avec acuité que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité », tandis que Jean Glavany l’estime menacée par « l’intégrisme islamique, qui a déclaré la guerre à la République ». Clivage si radical qu’il débouche sur... l’inaction, ainsi que l’avoue le député socialiste chargé de la laïcité : « Nous sommes paralysés par nos divergences, spectateurs d’un débat vampirisé par les extrêmes. » Car, autre fracture, la gauche, qui s’est historiquement installée en France en émancipant la société et les individus de l’emprise religieuse, se divise sur l’islamisme. Un rejeu de la gauche marxiste contre la gauche antitotalitaire. La vieille causalité économique contre la défense des libertés. Michel Onfray fustige une « gauche islamophile » « abolissant tous les combats qui furent ceux de la gauche issue de la Révolution française ». Emmanuel Todd et Alain Badiou dénoncent le martyre colonial d’un nouveau prolétariat. Clivage relayé au sommet de l’Etat par la divergence d’analyse entre François Hollande, choisissant d’utiliser le terme controversé d’« islamophobie », quand Manuel Valls le considère comme « le cheval de Troie des salafistes ».

Les divisions à gauche sur les « statistiques ethniques » expliquent que le scandale provoqué par le maire de Béziers ait tourné court. Des municipalités de gauche et de droite font de même dans leurs HLM pour rééquilibrer la « diversité ». Des députés et sociologues de gauche proposent régulièrement d’instituer des quotas ethniques. Manuel Valls en est partisan. Ce qui semble logique avec sa proposition de « politique de peuplement » pour mettre fin à « l’apartheid ». Mais François Hollande s’y oppose formellement. Trente ans d’ambiguïtés sur le « droit à la différence » se fissurent. La gauche multiculturaliste prône « l’inclusion » communautariste et dénonce « l’archaïsme et la boursouflure » de la gauche républicaine que défend Manuel Valls en instaurant dans les préfectures des « commissions citoyennes d’assimilation ». Tous découvrent qu’ils ne donnent pas le même sens aux mots qu’ils invoquent : « tolérance », « intégration », « respect », « ouverture ».

Après beaucoup d’hésitations, le clivage se dessine aussi sur les questions de mœurs. Les mères porteuses divisent déjà la gauche en deux camps opposés. La semaine dernière, une pétition signée par nombre de personnalités - dont Yvette Roudy, José Bové, Sylviane Agacinski, Nicole Péry - s’opposait à « la vente et l’achat d’enfants ». Et, au sein du gouvernement, la garde des Sceaux, à coups de circulaires ou d’approbation de bricolages jurisprudentiels, conforte ceux qui recourent à ce nouveau marché délocalisé tandis que le Premier ministre les considère comme des délinquants indignes d’être « désignés comme parents ».

Ces enjeux qui fracturent la gauche sont importants. Mais elle se montre incapable d’en débattre, ne sachant que reproduire en son sein ses réflexes face la droite : injures, invectives, mépris. Caroline Fourest et Aymeric Caron se traitent de « con » et de « menteuse ». Onfray et Valls, de « crétin » et d’« imposteur ». Mélenchon dit du Premier ministre qu’il faut « le rendre à Le Pen ». Et, sommet du ridicule germanopratin, Emmanuel Todd traite Laurent Joffrin de « facho ». Ce cannibalisme est suicidaire : la plupart de ces questions intéressent - et inquiètent - les électeurs. Si la gauche, préférant se disputer que d’en discuter, n’y répond pas, ils iront voir ailleurs."

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