Annie Sugier (LDIF). Frédéric Thiriez, ancien président de la Ligue de football professionnel, Linda Weil-Curiel (LDIF). 21 décembre 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes (LDIF). Frédéric Thiriez, ancien président de la Ligue de football professionnel, Linda Weil-Curiel, avocate et secrétaire générale de la LDIF.
"C’était à craindre. Il y a presque dix ans, la Fédération internationale de football (Fifa) cédait aux monarchies du Golfe en autorisant le port du voile dans les compétitions internationales. Nous fûmes nombreux à nous élever contre cette remise en cause des principes fondamentaux de la charte olympique (article 50.2) et des « lois du jeu » du football (loi 4), qui prohibent toute démonstration politique ou religieuse dans le sport. Nous avions salué la réaction des instances du football français, décidant de maintenir l’interdiction du port du voile sur le territoire national et pour nos « bleues ». Mais voici qu’un collectif dénommé « les hidjabeuses » a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation dudit règlement fédéral et le droit de jouer voilées. Lourde responsabilité pour les sages du Palais-Royal, qui se seraient sans doute bien passé d’avoir à trancher une question beaucoup plus politique, voire philosophique, que juridique.
Examinons les choses d’un peu plus près. Pourquoi interdire les manifestations politiques ou religieuses dans l’espace sportif ? Parce que nos ancêtres ont fait un rêve, qui s’est perpétué jusqu’à nous. Un rêve d’universalité qui veut que tous sur la planète, du nord au sud et de l’est à l’ouest, nous jouions au même jeu et soyons soumis aux mêmes règles. Un rêve de neutralité qui préserve le terrain de jeu des querelles politiques, religieuses, syndicales ou autres, contribuant ainsi à la paix entre les peuples et les communautés. Un rêve d’égalité, qui abolit l’espace d’un instant magique toute notion de race, de religion ou de condition sociale, au seul profit de la performance sportive. Un rêve enfin où nos sœurs jouiraient d’une dignité égale à celle de nos frères.
Pourquoi briser ainsi les « tables de la loi » ?
Or, le voile, le hidjab, le tchador, le burkini, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’est pas un simple morceau de tissu. Il est la manifestation ostentatoire, non seulement d’une appartenance religieuse, mais aussi et surtout d’une séparation voulue entre les femmes et les hommes et d’une soumission explicite des premières aux seconds. Le stade, la piscine, la mer, tous ces espaces destinés à la liberté, au jeu et à l’émancipation des corps, vont-ils devenir ceux de la promotion de l’apartheid sexuel et de l’asservissement de la femme ?
Il faudrait assurément de solides raisons pour briser ainsi les « tables de la loi » sportive et oublier nos principes. Les partisans du port du voile ont d’abord soutenu que celui-ci n’est pas un signe religieux, mais « culturel », échappant donc à l’interdiction posée par la charte olympique et la « loi 4 ». L’argument prêterait à sourire s’il n’avait été, contre toute attente, retenu par la Fifa il y a dix ans… Tour de passe-passe ou jeu de mots, comme on voudra, car il est clair que les « hidjabeuses » elles-mêmes revendiquent explicitement le droit de porter le voile comme signe de leurs convictions religieuses et non de leurs traditions culturelles.
Plus sérieusement, les partisans du voile soulignent qu’une telle mesure ouvrirait la porte du football aux jeunes filles musulmanes qui ne pourraient jouer autrement. Ainsi, loin de les asservir, le port du voile contribuerait à leur émancipation… Le paradoxe n’est qu’apparent et l’argument mérite considération. Doit-on refuser les bienfaits du football à une jeune fille parce qu’elle veut jouer voilée ? Poser ainsi la question oriente inévitablement la réponse vers une acceptation résignée du hidjab. Et pourtant, nous refusons de nous y résoudre ! Nous n’acceptons pas que les femmes soient ainsi placées en liberté conditionnelle.
Un honteux désaveu à toutes celles qui se sont battues pour l’égalité
Lorsque des principes sacrés sont en cause, comme la non-discrimination et la dignité de la femme, le courage n’est-il pas préférable à la résignation, la fermeté à la compromission ? C’est de ce courage qu’ont fait preuve les pionnières musulmanes du sport féminin, comme la Marocaine Nawal El Moutawakel ou l’Algérienne Hassiba Boulmerka qui couraient sans voile malgré les menaces intégristes. Légitimer aujourd’hui le port du voile dans le sport serait infliger un honteux désaveu à toutes celles qui se sont battues depuis des années pour l’égalité, parfois au péril de leur vie, et à celles et ceux qui continuent de le faire. Ce serait abandonner les jeunes filles qui souhaitent s’émanciper dans leur combat contre la pression familiale et sociale.
Et verra-t-on demain des hommes évoluer sur les terrains en portant la kippa, le turban ou la croix des templiers ? En acceptant que les symboles religieux soient reconnus dans le stade, la France renoncerait au rêve universel d’un sport préservé des conflits idéologiques, religieux ou politiques ; elle déroulerait le tapis rouge aux communautarismes de tous poils, aggravant les fractures qui minent notre société.
Face à une telle menace, les pouvoirs publics pourraient, sans gloire, s’en remettre à l’arbitrage du Conseil d’État. Ils pourraient surtout légiférer pour conforter les fédérations sportives nationales dans leur combat pour la neutralité du sport. C’est le souhait des sénateurs et sénatrices emmenés par Michel Savin autour de la proposition de loi n° 273 déposée le 8 décembre [1]. C’est aussi le nôtre."
Lire "La France va-t-elle céder aux footballeuses voilées ?"
[1] Proposition de loi visant à assurer le respect des principes de la laïcité dans le sport, présentée par MM. Michel Savin, Bruno Retailleau et Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
« Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique » Charte olympique (CIO), art 50.2 (note du CLR).
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