18 mars 2009
Walter Benn Michaels, La Diversité contre l’égalité, éd Raisons d’agir, 2009, 160 p., 7e.
"Le paradoxe est flagrant : au moment même où l’élection du métis Barack Obama fait entrevoir l’avènement d’une Amérique postraciale, la France républicaine découvre avec quelques décennies de retard les vertus de la "diversité".
A rebours d’une Amérique qui s’interroge sur la validité des catégories raciales, l’Hexagone est tenté par la rhétorique identitaire, voire les statistiques "ethniques". Avec l’art délectable de l’autodérision que les Américains savent parfois manier, Walter Benn Michaels, professeur de littérature à l’université de l’Illinois à Chicago, signe un pamphlet décapant. Ce petit livre nous met en garde contre l’adoption d’un modèle qui, séduisant en apparence, porterait en lui la destruction d’une valeur centrale : l’égalité.
Même en France, la question n’est pas nouvelle. Le débat entre "droit à la différence" et "droit à l’indifférence" a divisé la gauche comme la droite depuis plus de vingt ans. La querelle à propos du "foulard islamique" en a été le paroxysme.
Mais aujourd’hui un certain consensus semble s’être opéré autour de la notion floue de "diversité". Michaels nous alerte : "La "diversité" n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité, mais une méthode de gestion de l’inégalité." D’ailleurs, "une France où un plus grand nombre de Noirs seraient riches ne serait pas économiquement plus égalitaire".
Alors que les idées de "respect des identités" et de "diversité" font, en France, surtout l’objet des critiques de la droite et de l’extrême droite, prompte à ridiculiser le ralliement de Nicolas Sarkozy au politiquement correct de gauche, c’est à une virulente charge de gauche que se livre l’universitaire américain.
Pour lui, les inégalités sociales "résultent du capitalisme et du libéralisme économique et non du racisme et du sexisme".
Nouvel opium du peuple, la dévotion pour la "diversité" permettrait d’évacuer la question sociale et faciliterait la soumission à l’ordre inégalitaire établi. Masquant les différences de classe, elle constituerait un piège pour une gauche en mal de valeurs spécifiques. A l’appui de sa démonstration, il souligne que le succès de la "diversité" aux Etats-unis a coïncidé avec une augmentation vertigineuse des inégalités de richesse depuis les années 1980.
L’avertissement est d’autant plus crédible qu’il provient d’un Américain, qui plus est membre éminent de l’université, lieu emblématique de l’"affirmative action" destinée à promouvoir la diversité raciale. Les pages dans lesquelles Michaels raille la bonne conscience que donne aux fils de famille la présence de quelques Noirs dans les universités prestigieuses au coût exorbitant figurent parmi les plus savoureuses d’un ouvrage truffé de références puisées aussi bien dans la littérature que dans la vie quotidienne.
Ainsi, la diversité serait une sorte de "gauchisme des classes supérieures", un moyen pour les riches de faire oublier leurs privilèges et de se libérer de toute culpabilité. La religion du "respect" des pauvres transfigurés en personnes "différentes" ou perçues à travers la couleur de leur peau justifierait le maintien du statu quo social. "Tant que les affrontements concernent l’identité plutôt que la richesse, peu importe qui les gagne." Quant à la notion de "race", anéantie par la biologie, elle est réhabilitée sous le couvert, là encore, de respect des identités. Michaels mitraille méthodiquement les piliers du politiquement correct américain. "Exprimer ses regrets pour l’esclavage, le colonialisme, la Shoah, manifester son respect pour les gens (...), assène-t-il, revient bien moins cher que leur verser un salaire décent."
Parfois caricatural mais sauvé par son ironie, l’ouvrage plaide de fait pour la défense du prétendu "modèle français" égalitaire, aveugle aux origines et aux religions, prolongement de la "laïcité", même s’il n’emploie pas ce mot sans équivalent en anglais. Brillante, la charge a pourtant ses limites : s’il enjoint la gauche de se faire le champion de l’égalité des chances et de la justice économique plutôt que de la diversité des identités, Michaels se montre plus prolixe pour dénoncer que pour proposer. Il semble oublier que les cultures ne se réduisent pas à la manipulation identitaire ou religieuse dont elles peuvent faire l’objet. Il sous-estime le profond sentiment d’injustice ressenti quotidiennement par les victimes de discriminations longtemps niées en France. Omet le fait que les blessures liées aux drames de l’histoire alimentent les injustices sociales. Et fait mine d’ignorer la correspondance existant entre certaines minorités et les catégories socialement défavorisées.
Mais que l’Amérique, dont les évolutions annoncent souvent les nôtres, émette avec tant de virtuosité pareil avertissement ne peut laisser indifférent. Surtout à l’heure où la crise économique et les tensions du monde supposent des réponses sociales vigoureuses et non des cache-misère."
Comité Laïcité République
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