par Jean-Claude Pecker, astrophysicien, membre honoraire au Collège de France 5 septembre 2012
Combien de responsables politiques, combien même d’intellectuels parmi les plus respectés, sont-ils conscients que la culture scientifique appartient pleinement à la culture ? Il n’est certes pas bien d’ignorer Shakespeare, Rembrandt, Mozart, Victor Hugo, ou Picasso. Mais pourquoi devrait-on ignorer sans complexe Copernic, Galilée, Pasteur, Hubble ou Fleming ?
L’épanouissement de la culture scientifique est aussi nécessaire que celui de tous les autres visages de la culture : culture artistique, littéraire, ou musicale. Les autorités publiques se sont trop souvent désintéressées des outils de la culture scientifique, et le mécénat privé prétendu scientifique ne s’exerce qu’avec des œillères, un compte-gouttes, et un souci aigu des intérêts du donateur.
Le palais de la Découverte, créé par Jean Perrin à l’époque du Front populaire, est menacé. Le nombre de planétariums, même dans les grandes villes, est très insuffisant, une ville comme Bordeaux en est dépourvue. L’historique observatoire Camille-Flammarion à Juvisy-sur-Orge est toujours en attente du financement des travaux de transformation en centre de culture scientifique, malgré les efforts de la Société astronomique de France. En province, les maisons des jeunes et de la culture ont des propos scientifiques très insuffisants. Les revues de popularisation (Science et Vie, la Recherche, Pour la science) sont des magazines de qualité mais leur diffusion est insuffisante, dans les établissements scolaires notamment, le plus souvent pour des raisons budgétaires.
Pourtant, les autorités responsables se plaignent de la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques. Il n’y a plus d’étudiants se lançant vers les maths ou la physique ; au collège ou au lycée, les enseignants se plaignent d’avoir de plus en plus de difficultés à faire comprendre les démarches de ces disciplines.
Et une certaine philosophie exprime assez fort les doutes envers le propos même de la science. Le mot de « progrès » passe parfois pour une dangereuse obscénité. Des émules de Protagoras nous expliquent que tout est vrai, et son contraire. Et dans le public, la science est associée à la bombe atomique, aux manipulations génétiques, aux dangers des applications de la science plutôt qu’à ses bienfaits, chirurgie cardiaque, transports rapides ou communications faciles. Après Hiroshima, il y a eu Fukushima ; la thalidomide a fait des ravages, les OGM sont vilipendés. « C’est la faute à la science ! » Le débat politique sur ces problèmes a perdu sa rationalité pour ne devenir que purement passionnel.
Restons-en aux principes de la culture scientifique. Tout d’abord, il convient de distinguer la science pure et ses applications. Il est bon de faire comprendre au public ce qu’il y a dans la boîte noire universelle de la technologie, de montrer comment et pourquoi on se sert de tel ou tel outil, et quels principes de la physique, de la chimie ou de la biologie il importe d’exploiter pour développer telle ou telle technique. Qui comprend clairement comment marche - et ce ne sont que des exemples - son ordinateur, son four à micro-ondes ou les comprimés absorbés chaque matin ? C’est le rôle de la Cité des sciences et de l’industrie, à la Villette, que de permettre cette compréhension.
Mais il importe aussi de faire comprendre la physique et la chimie de base, mais aussi la mathématique de base, nécessaires à la conception des technologies nouvelles. Il ne suffit pas de montrer cela comme un spectacle de magie. Il faut aussi l’expliquer. Qu’il s’agisse du théorème de Pythagore, de la nature de l’arc-en-ciel, de l’analyse élémentaire de l’eau, ou de la conception héliocentrique du système solaire... Ne jamais se satisfaire de montrer la science, il faut la faire comprendre et s’assurer que ceux à qui l’on s’adresse ont bien compris. Telle est évidemment la mission des enseignants. Telle est aussi la mission des institutions de culture scientifique comme le palais de la Découverte.
Il est un domaine de la culture universelle et qui mérite de l’attention, tant il constitue une menace pour notre société. C’est la culture « antiscience », la culture du faux, de l’illusion, du mystère, du mystique... et qui s’affirme pourtant scientifique. C’est aussi le rôle des semeurs de culture scientifique que de mettre en accusation ces mystifications nombreuses, et souvent, hélas, séduisantes : parapsychologie, astrologie, numérologie, mais aussi homéopathie et les nombreuses thérapies illusoires, irrationnelles, et se vantant de l’être, comme si l’on pouvait associer les concepts de « scientifique » et d’« irrationnel » ! La culture scientifique est un antidote contre cet empoisonnement lent et insidieux de notre société. Une croyance n’est pas une connaissance, l’aveuglement n’est pas la lucidité, la foi n’est pas la raison. Il importe donc, pour des raisons multiples - maîtrise de notre croissance, démystification des fausses solutions, regard lucide sur le monde qui nous entoure et dans lequel nous vivons - de cultiver la science. La culture scientifique est une ouverture. Nos gouvernements s’en sont si souvent désintéressés que le terreau de la science française semble avoir perdu une partie de sa fertilité. C’est le devoir du nouveau gouvernement, de la nouvelle législature, de remettre la culture scientifique au cœur de la culture.
Lire "La culture scientifique doit être au cœur de la cité".
Jean-Claude Pecker est membre du Comité Laïcité République (note du CLR).
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