Riss, directeur de la rédaction de "Charlie Hebdo". 18 mars 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Faut-il montrer aux élèves les caricatures les plus crues de Charlie Hebdo, et en particulier celles qui moquent la religion ? Dans son dernier essai, François Héran, professeur au Collège de France, nous expose sa conception de la liberté d’expression (Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression aux éd. La Découverte). Une de plus. Car on ne les compte plus, les théories en tout genre sur la liberté d’expression et la laïcité, depuis que Charlie Hebdo a publié les fameuses caricatures de Mahomet, en 2006, puis en septembre 2020, à l’occasion du procès des attentats de janvier 2015. Encore une tentative pour recentrer le débat sur la responsabilité de celui qui s’exprime plutôt que sur celui qui le flingue. [...]
Mais, au-delà de la question des caricatures et de la liberté d’expression, François Héran semble occulter, et il n’est pas le seul, un droit capital que cette décision de justice a réaffirmé. Un droit si évident qu’on finit par oublier qu’il existe : celui de contester Dieu. N’est-ce pas d’abord ce droit que les enseignants devraient expliquer à leurs élèves ?
Car ils sont rares, dans le monde intellectuel, ceux qui osent remettre en cause le bien-fondé de cette chose étrange qu’on appelle « Dieu ». Ce n’est pas seulement le refus de vivre dans une théocratie qui motive le dessinateur satirique lorsqu’il croque la religion, c’est avant tout son besoin de contester l’idée même de Dieu. La vitalité des religions à travers le monde ne démontre rien de probant, à part le désir des fidèles de croire en Lui. Et puis c’est tout. Même avec des religions moins prosélytes, Dieu demeurera toujours une hypothèse dont la démonstration ne sera jamais très convaincante. Et si les nombreux croyants sur la terre ne ressentent pas autant que nous cette vacuité, nous n’avons jamais demandé qu’on les empêche de pratiquer dans les lieux de culte consacrés à cet effet ou dans leur vie privée, là où personne ne viendra les déranger.
Nous réalisons des dessins satiriques sur les religions car nous ne croyons pas en Dieu. NOUS NE CROYONS PAS EN DIEU. Il faut vous le dire comment ? Ce n’est pas faute d’avoir écouté les prêtres, les imams, les rabbins et les théologiens. Aucun n’est parvenu à nous convaincre de leurs thèses. Les textes les plus anciens et les sermons innombrables partout dans le monde n’ont pas uniquement le défaut de retentir comme des injonctions, ils ont surtout la faiblesse d’être inconsistants. Voilà pourquoi nous caricaturons Mahomet, Jésus ou Bouddha. Nous dessinons le vide qu’ils nous inspirent.
Nous dessinons sur les religions, sur ce qu’elles prétendent, sur ce que racontent leurs prophètes, car nous voulons exprimer notre conviction profonde et sincère que le spirituel ne repose sur rien. Cette conviction que Dieu est absent doit être respectée autant que les autres, et doit pouvoir s’exprimer librement, au risque de choquer ceux qui ne la partagent pas. C’est ce que le tribunal dit très clairement dans son jugement sur les caricatures.
La violence des islamistes, et d’autres mystiques, est une tentative radicale et ultime – quand toutes les autres ont échoué – de nous convaincre par la terreur que Dieu existe. [...]
« Peut-on demander un peu d’espace pour la liberté de croyance sans basculer dans la théocratie ? » titre Le Point pour annoncer l’interview de François Héran, qui croit nécessaire de « rappeler que la liberté d’expression ne peut engloutir la liberté de croyance ». C’est franchement risible quand on sait qu’il y a 5,8 milliards de croyants dans le monde. Quel espace de liberté manque-t-il encore à ces 5,8 milliards de croyants pour qu’ils ne se sentent plus « offensés » ? Quand il y aura 5,8 milliards de dessinateurs satiriques dans le monde qui caricatureront Jésus ou Mahomet, on en reparlera.
Ce que les professeurs des collèges et des lycées devraient enseigner à leurs élèves, souvent déboussolés par des débats qui les dépassent, ce ne sont pas les théories bancales de François Héran, mais tout simplement comment réussir à être libre. Libre de croire mais aussi de ne pas croire. Libre de penser que Dieu n’existe peut-être même pas. Libre de se dire que la religion seule ne peut suffire à construire toute une vie. Parier sur l’existence de Dieu comme Pascal en son temps est devenu aujourd’hui un jeu trop dangereux. Parier toute notre société sur Dieu est un jeu qui ne fait plus rire personne."
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales