Revue de presse

"L’UNEF offre un enterrement religieux à la laïcité et à l’universalisme" (Charlie Hebdo, 1er mai 19)

27 mai 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"" La honte ", " On est en colère ", " Ils sont débiles " … Quand on fait parler des anciens de l’Unef sur la nouvelle génération, on prend la mesure de la fracture. Entre la demande d’annulation de la lecture du texte de Charb et l’élection d’une porte-parole voilée en 2018 ou encore l’interdiction de la pièce Les Suppliantes à la Sorbonne cette année, l’Unef affiche des prises de position en opposition totale avec son histoire laïque et universaliste. Plusieurs anciens qui ne s’étaient pas exprimés jusque-là prennent la parole pour dénoncer une dérive. Comment s’est opéré ce glissement ? Enquête sur l’Unef " intersectionnelle ".

Seul contre tous, ou presque. Lors d’un débat au sein des assises nationales de l’Unef (Union nationale des étudiants de France) contre le racisme à la mi-avril, Nasser Ramdane Ferradj, ancien vice-­président de SOS racisme, ne suscite aucun applaudissement. Il a hésité à venir, mais il a décidé de le faire pour essayer de convaincre les étudiants de ce syndicat qu’ils font fausse route. Influencés par les thèses indigénistes, les jeunes militants de l’Unef se retrouvent parfois en «  réunions non mixtes racisé · e · s  » et parlent désormais en «  Blancs  », «  non-Blancs  » – comme en témoigne le tweet lunaire d’une membre du bureau national, estimant que les réactions à l’incendie de Notre-Dame sont un «  délire de petits blancs  ». Nasser Ramdane Ferradj est venu en «  ancien  » de la cause antiraciste, version anticommunautariste. «  Je ne vais pas m’excuser de militer depuis trente ans contre le racisme  !  », commence-t-il. Puis il prend clairement ses distances avec les prises de position du syndicat : «  Je ne partage pas votre vocabulaire, je ne partage pas votre manière de définir et d’enfermer une partie de la société dans le mot « racisé ». Nos luttes ne sont pas interdites aux Blancs. Vous mesurez à quel point vous êtes en rupture avec votre propre histoire syndicale  ?  » Il lance encore : «  Vous êtes confrontés à un choix . C’est peut-être la dernière fois que l’on fait quelque chose ensemble, SOS racisme et l’Unef.  » L’avertissement se fait historique.

Dans le même débat, à côté de lui, Sihame Assbague, qui, elle, est acclamée par les étudiants présents. Elle est porte-parole du collectif Stop le contrôle au faciès, et, surtout, à l’initiative de camps d’été «  décoloniaux  » interdits aux Blancs. Elle parle à Nasser Ramdane Ferradj en l’appelant «  mon frère  » . Elle développe ses thèses indigénistes devant les étudiants. À propos de la polémique au sujet de Maryam Pougetoux, la porte-parole voilée de Paris-IV, elle lance : «  Pourquoi a-t-elle été attaquée  ? Parce qu’elle est considérée comme une indigène qui ne reste pas à sa place et qui attaque le pouvoir.  » Deux visions de l’antiracisme qui s’affrontent, universalisme contre indigénisme. Où se situe l’Unef dans ce débat  ? Lors des questions dans la salle, chaque prise de parole est un soutien à Sihame Assbague. Mais une dizaine d’étudiants viennent tout de même voir Nasser Ramdane à l’issue du débat, et certains lui glissent : «  On voulait vous poser des questions, mais les interventions étaient décidées à l’avance, on ne peut pas tenir une autre ligne.  » Il se veut donc optimiste : «  Ça peut bouger de l’intérieur, l’Unef est sauvable.  » Mais au niveau de la direction, la présidente, Mélanie Luce, assume une rupture. «  On se sépare de l’universalisme républicain tel qu’il était mis en oeuvre depuis longtemps, car ça ne fonctionnait pas  », nous explique-t elle. L’Unef se dit «  intersectionnelle  », et Mélanie Luce en est, selon ses mots, la première présidente «  racisée  ». «  Mais nous ne sommes pas indigénistes  », assure-t-elle.

Comme souvent, intersectionnel rime avec remise en cause de la laïcité. Symbole de cette dérive, la présence de l’association Lallab, invitée à animer un atelier contre l’islamophobie à ces assises. L’association se présente comme «  féministe  », mais la plupart de ses prises de position sont en faveur du port du voile et se situent clairement dans l’opposition à l’héritage du féminisme universaliste, que Lallab considère comme un «  féminisme blanc  ». Pour Nasser Ramdane Ferradj et d’autres observateurs, l’association serait même «  le faux nez des Frères musulmans  ». Un petit tour sur leur site montre en tout cas qu’elles font la promotion de la «  modest fashion  », ou mode «  pudique  », pour que «  les vêtements portés n’incitent pas à une attirance sexuelle  ». Pour le féminisme, on repassera.

Dans l’atelier que ses membres animent, et auquel on a pu assister, le discours est très virulent envers la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école. «  Son bilan est catastrophique. La loi a ouvert la porte à toute une série de discriminations envers les femmes musulmanes  », assurent les intervenantes. Pour elles, une femme musulmane est avant tout une femme voilée, ou en burkini. Une autre dénonce «  l’injustice  » dont la mère d’une amie a été victime en ne pouvant pas être en burkini à la piscine. Lors d’un échange, un étudiant pose la question des limites dans la critique de la religion «  pour ne pas blesser les croyants  ». Ou comment revenir tout droit au délit de blasphème. En face de tout cela, aucune prise de parole de dirigeants du syndicat pour défendre la loi sur la laïcité ou la critique des religions. D’ailleurs, lorsque Nasser Ramdane Ferradj – qui n’était pas dans cet atelier – rappelle à la sortie des assises qu’il avait défilé aux côtés de l’Unef pour soutenir Salman Rushdie, menacé par une fatwa, Mélanie Luce est incapable de dire si elle défilerait encore aujourd’hui pour défendre l’auteur des Versets sataniques …

La lutte contre l’intégrisme religieux semble bien loin aujourd’hui à l’Unef. Et pourtant, il était encore très présent il n’y a pas si longtemps. La mue a été rapide. On était «  virulemment anticléricaux , rappelle Émilien, qui a quitté l’Unef en 2016. Il n’y aurait jamais eu confusion entre lutte antiraciste et lutte contre l’islamophobie. Même les tendances minoritaires n’auraient pas demandé ça.  » Une ancienne de la direction de l’Unef, très impliquée dans la lutte antiraciste, se souvient : «  J’ai encore le numéro de Charb dans mes contacts. On s’était appelés car on organisait une conférence sur la liberté d’expression. On est à mille lieues de voir l’Unef lancer aujourd’hui cette initiative.  »

Parmi les revendications de l’Unef, rappelle Mathieu, un autre «  jeune ancien  » parti en 2014, la demande de référents «  laïcité  » dans les facs, preuve que le sujet était important à leurs yeux. «  On était tous fans de Caroline Fourest, elle avait fait la une de notre journal  », ajoute-t-il. En 2013, l’Unef se prononçait même officiellement dans un communiqué contre le port du voile à la fac. «  L’Unef milite contre cette pratique qui enferme les femmes dans une situation de soumission par rapport aux hommes. Pour autant, l’Unef n’accepte pas que le nécessaire débat sur la laïcité se résume à désigner une religion, à savoir l’islam, comme principale cible  », écrivaient-ils. Impossible de trouver le communiqué en ligne aujourd’hui. Des anciens pensent que la nouvelle équipe aurait même supprimé du site les communiqués trop éloignés de la ligne actuelle. Ambiance.

«  À l’époque, la position en faveur de la laïcité était majoritaire, ça ne faisait pas débat  », rappelle Bruno Julliard, président très médiatique du syndicat de 2005 à 2007. «  On était tous d’accord en interne pour considérer que le voile était une aliénation  », abonde Emmanuel Zemmour, président de 2011 à fin 2013. Et lorsqu’il y avait contestation en interne, les réactions étaient sans concession. Julliard se souvient d’un épisode : «  Une militante de l’Unef proche de la LCR [Ligue communiste révolutionnaire, ndlr] était arrivée voilée lors d’un collectif national, par provocation, car elle n’en portait pas d’habitude et n’était pas musulmane. On avait alors suspendu le collectif national. On estimait qu’une structure militante pouvait avoir ses propres règles, plus laïques que la loi française.  » Ironie de l’histoire, la section la plus laïque historiquement au sein de l’Unef a longtemps été celle de Paris IV. Elle était tenue par les «  poperennistes  », soit les partisans de Jean Poperen, membre du PS connu pour défendre une laïcité intransigeante. Et c’est précisément dans cette fac que l’Unef a élu comme porte-parole Maryam Pougetoux…

Bruno Julliard s’est tu pendant longtemps. Aujourd’hui, il estime que «  la barque est trop chargée  ». Il dénonce une «  dérive identitaire, avec une conception racialiste de beaucoup de sujets dans la société « . » Les réunions non mixtes racisées étaient impensables à notre époque  », assure-t-il. Il pointe même un «  déclassement intellectuel  » du syndicat, avec des communiqués de presse ou des tweets «  qui ne sont même pas écrits en français  ». Conséquence aussi, selon lui, du rétrécissement de l’Unef, qui peine à recruter des étudiants : «  Avant, c’était une élite qui montait au bureau national.  » Rétrécissement politique aussi : le syndicat se voulait une «  maison commune de la gauche  », rassemblant toutes les chapelles, de la LCR à la CFDT, mais «  aujourd’hui, il ne rassemble que des communautaristes  », raille un autre ancien. Symbole de ses difficultés électorales, le syndicat a été relégué en 2017 à la 2 e place, derrière la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), aux élections du Cnous. Rétrécissement, enfin, du champ d’action du syndicat : «  On a oublié les fondamentaux. Ils ne font presque plus de syndicalisme, ils sont devenus des spécialistes des sujets de société, mais ce n’est pas le coeur d’action de l’Unef  », dénonce Julliard. Qui de l’oeuf ou de la poule  ? Est-ce le déclin du syndicat qui l’incite à se «  corneriser  » et à se radicaliser sur certains sujets de société, ou est-ce que ces prises de position ont entraîné ce déclin  ? Les anciens se posent la question et ne trouvent pas la réponse.

Comment s’est opéré ce tournant de l’Unef  ? De l’avis de plusieurs anciens, la rupture idéologique se produit avec la présidence de William Martinet, arrivé en 2013. Mais à l’Unef – qui a eu parfois sa propre conception de la démocratie –, les présidents sont choisis par leur prédécesseur, en l’occurrence, ici, Emmanuel Zemmour. Désormais, il avoue n’avoir pas perçu ce positionnement plus relativiste sur les questions de société de son successeur. Il l’a choisi notamment parce qu’il se situait plus à gauche politiquement. Martinet est d’ailleurs engagé actuellement auprès de Jean-Luc Mélenchon au sein de La France insoumise, et n’a pas souhaité répondre à nos questions. «  On était au milieu du mandat de Hollande, dans une désillusion absolue par rapport à la gauche, on n’arrivait pas à négocier quoi que ce soit, explique Emmanuel Zemmour. Je me suis dit qu’il fallait assumer une position plus dure. William avait un côté plus intransigeant politiquement.  »

C’est donc sous la présidence Martinet que le syndicat a glissé peu à peu vers le relativisme. Pour aboutir notamment à cette décision, qui choque encore beaucoup d’anciens : l’ouverture d’une salle de prière – révélée par Le Monde – dans une université lors du congrès de ses adieux en 2016, à la demande d’un étudiant qui faisait le ramadan. Chacun reçoit alors un SMS indiquant aux «  camarades » qui veulent prier qu’une salle a été ouverte. Les anciens s’étranglent : une salle de prière dans une université publique, inconcevable  ! En 2015, une rupture, déjà : au moment des attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, pour la grande manif de soutien du 11 janvier, Martinet a annoncé ne pas vouloir défiler dans le cortège de tête. C’est aussi Martinet qui lance les premières réunions «  non mixtes racisé · e · s  » pour le bureau national.

Après son départ, «  le couvercle a sauté  », analyse Émilien. La génération formée sous Martinet arrive aujourd’hui à maturité. «  L’Unef est devenue le SUD étudiant d’il y a dix ans. De la maison commune de la gauche, c’est devenu la maison du gauchisme et du relativisme.  » Émilien est parti de l’Unef après les attentats du Bataclan. «  Je ne pouvais plus supporter cette ligne-là, me retrouver dans une salle avec des gens qui disent » Charlie l’a bien cherché », ou « arrête avec ton discours de Blanc« . Aujourd’hui, ils pensent que c’est l’indigénisme et l’intersectionnalité qui sont la voix de la banlieue. Faute d’arriver à aller en banlieue, on s’est appuyé sur des organisations proches de ces thèses-là sans aucune lucidité…  » Une ancienne, elle-même issue de la diversité, déplore : «  Avec leur rhétorique, on fait la course entre les Blancs et les Noirs. C’est une erreur dramatique de penser que seuls ceux qui sont concernés peuvent mener le combat.  » Et même la course entre niveaux de couleur, si l’on en croit ces propos d’une intervenante aux assises rapportés sur le compte Twitter de l’Unef : «  En tant que femme transgenre racisée, je suis intersectionnelle. Mais ma racisation fait de moi une personne plus privilégiée qu’une personne afro-descendante et c’est à cause du colorisme qui crée un privilège entre personnes racisées.  » Pas de quoi parler au plus grand nombre. Pas certain non plus, d’ailleurs, que quiconque parvienne à déchiffrer ce charabia pour militant des niches raciales…"

Lire "L’UNEF offre un enterrement religieux à la laïcité et à l’universalisme".


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Unef, Lallab, "Mode islamique", Voile dans l’enseignement supérieur (note du CLR).


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