par Ilse Ermen. 20 janvier 2018
Leïla Slimani, Sexe et mensonge. La vie sexuelle au Maroc, Les Arènes, 2017, 17 €.
Sexe et mensonge. La vie sexuelle au Maroc est un recueil d’interviews et entretiens de la très courageuse écrivaine Leïla Slimani avec des femmes et des hommes marocains, des particuliers, des membres d’associations, des artistes, des journalistes. Les entretiens eurent lieu pendant la tournée de présentation au Maroc de son premier roman Dans le jardin de l’ogre (Gallimard) ; ils sont accompagnés de commentaires et analyses lucides de l’auteure dont le talent littéraire en fait une lecture agréable, malgré les faits.
Slimani est une de ces personnalités qui osent prendre la parole, ce qui lui a valu l’épithète de "native informant" [1] de la part des irrespirables "Indigènes de la République". Epithète dont on peut être fier de nos jours, car, au contraire de l’intention de ceux qui s’en servent, il se transforme en titre honorifique, en prédicat de la pensée indépendante, tenant tête à TOUTE oppression, de quelque côté qu’elle vienne.
Dans sa préface et ses commentaires, Slimani fustige l’hypocrisie d’une société dont le crédo paraît être "Faites ce que vous voulez, mais faites le en cachette". Une société dominée par l’obsession sexuelle, l’obscurantisme religieux et le non-dit, obsession suscitée par l’interdit, la schizophrénie sociétale. Schizophrénie qu’évoquent maints auteurs maghrébins depuis des décennies : rappelons Kamel Daoud et son brillant article dans Le Monde [2], et, bien avant lui, Slimane Zéghidour – qui publia longtemps avant l’islamisation de la gauche Le voile et la bannière (Hachette) – sans se faire lyncher, et encore plus tôt Kateb Yassine – universaliste, féministe, antiislamique, anticolonial sans distinguer entre colons arabes et français.
Slimani ne se contente pas de voir dans une sexualité libéré un droit subordonné aux exigences de l’économie, à l’instar des marxistes qui y voient une "contradiction secondaire". Au contraire : "Les droits sexuels font partie des droits de l’homme, ce ne sont pas de droits accessoires, des petits plus dont on pourrait se passer sans mal. Exercer sa citoyenneté sexuelle, disposer de son corps comme on l’entend, mener une vie sexuelle qui soit sans risque, source de plaisir et libre de toute coercition sont des droits fondamentaux et devraient être inaliénables et garantis pour tous."
Le Maroc est un pays où la sexualité est clandestine : les relations extramaritales sont interdites par la loi, quoique tout le monde les pratique – y compris les femmes voilées et les représentant(e)s des partis islamistes : un jour, deux personnalités du parti PJD furent pris en flagrant délit d’adultère, baisant dans une voiture comme tout le monde. Car il n’y a pas d’espace privé au Maroc, même pas pour les député(e)s islamistes prêchant la morale. Tout est dominé par l’hypocrisie, la schizophrénie, la haine, la culpabilité, la déprime, les personnes sont comme dans un cercle vicieux de ras-le-bol, désespoir et culpabilité.
Les uns luttent, les autres se résignent.
Ceux qui parlent de sexe ouvertement sont cibles de haine et agressions – le film de Nabil Ayouche Much loved, un merveilleux portrait de quatre personnalités féminines, prostituées, provoqua scandale l’année 2015. L’actrice principale, Loubna Abidar, dut quitter le pays après s’être fait attaquer dans la rue [3]. La même année, tout le monde condamnait un concert de la "pute" Jennifer Lopez que tout le monde avait vu à la télé, évidemment. Ainsi, tout le monde consomme la pornographie hard core tout en la condamnant.
Slimani souligne la pression et le mensonge du voile, cet instrument de soumission et de sexualisation du corps féminin. Le voile génère ce qu’il prétend prévenir : l’agression sexuelle et le harcèlement. De plus en plus de femmes sont voilées, ce qui ne veut point dire qu’elle soient pieuses et surtout pas qu’elles n’ont pas de relations intimes illicites. Le voile devient un des instruments les plus efficaces de contrôle sur les femmes : il est difficile d’échapper à la surveillance dans les quartiers – dépassant de fait les cauchemars du cyber contrôle : rien n’est plus efficace que les voisins et les voisines (les femmes, tout en étant les premières victimes de l’oppression, sont souvent les premières gardiennes de l’ordre moral).
L’influence wahhabite serait de plus en plus sensible sur tout les niveaux, et au quotidien et dans le domaine religieux. N’oublions pas que l’Arabie Saoudite est un des financiers les plus importants de la mission salafiste au monde, tandis que ses citoyens sont les meilleurs clients de la prostitution marocaine.
Les témoignages sont étonnants : il y a beaucoup de récits de femmes vivant seules, les femmes accèdent de plus en plus à l’éducation supérieure mais gardent en même temps le statut de mineure. Choquants, l’histoire d’une fille violée pour qui il aurait été pire de relater ce viol à ses parents que le viol lui même ; des rapports d’un assistant social époustouflants.
En même temps, il se passe des choses inouïes au Maroc : des "kiss-in", des protestations contre des jugements sévères... On s’étonne que Slimani ait pu présenter son roman qui parle de l’addiction sexuelle d’une femme dans ce pays. Et qui aurait cru que les Monologues du vagin furent mis en scène dans le royaume ?
Un livre surprenant, intelligent, engagé qui nous fait découvrir les facettes du Maroc d’une façon peu folklorique. Un grand plaidoyer pour la liberté du corps et de l’esprit.
Ilse Ermen
[1] Informateur autochtone (note du CLR).
[2] Lire K. Daoud : "La misère sexuelle du monde arabe" (nytimes.com , 12 fév. 16), K. Daoud : "Cologne, lieu de fantasmes" (Le Monde, 5 fév. 16) (note du CLR).
[3] Voir Loubna Abidar (note du CLR).
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