Revue de presse

« L’olympisme n’a jamais été un progressisme » (Patrick Clastres, Libération, 26 juil. 12)

28 juillet 2012

"L’historien Patrick Clastres revient sur l’utilisation politique des JO à travers l’histoire. A Londres, le débat pourrait se focaliser sur le port du voile islamique dans les arènes sportives.

Les Jeux de Pékin en 2008 avaient été marqués par de nombreux débats sur les droits de l’homme. Peut-on s’attendre à une nouvelle irruption de la politique cette année ?

Dans son histoire, le mouvement olympique a été confronté à trois offensives de nature politique. L’offensive nationale-socialiste des dictatures brunes, lors des Jeux de Berlin en 1936. L’offensive stalinienne, à partir des Jeux de Melbourne en 1956 jusqu’au double boycott de 1980 et 1984. Si les Nazis avaient utilisé la faiblesse de la neutralité olympique à leur avantage, les Soviétiques ont été plus malins en disant que l’universalisme des Jeux était une expression de la solidarité prolétarienne. Aujourd’hui, la politique est présente par le biais de l’offensive théocratique. Dans l’esprit des fondamentalistes, le religieux fusionne avec le politique, le culturel, et le social. Ce mouvement est actuellement représenté aux Jeux par les musulmans - je pense à la question du voile dans les stades - mais il pourrait tout à fait être récupéré par les bouddhistes, les juifs etc.

Comment des revendications politiques pourraient-elles s’exprimer à Londres ?

Par les athlètes, je n’y crois guère. L’histoire a montré les limites de l’exercice, notamment quand les sprinteurs noirs américains John Carlos et Tommie Smith avaient été exclus des Jeux de Mexico, en 1968. On peut éventuellement imaginer une manifestation symbolique de la délégation palestinienne. Pourquoi pas, également, un signe de certains athlètes syriens en faveur de la paix dans leur pays ? Mais je crains que la réaction du CIO vis-à-vis de ces personnes soit beaucoup plus excluante qu’à l’encontre de celles qui portent le voile.

Sur cette question, dans la mesure où des athlètes d’autres confessions expriment leur foi sur les terrains (signes de croix, tee-shirts « I belong to Jesus »...), le CIO n’était-il pas contraint à accepter le voile ?

Le CIO a déjà été confronté à des athlètes qui souhaitaient que le calendrier soit adapté à leur foi. Je pense par exemple à des concurrents de confession protestante qui ne voulaient pas concourir le dimanche. Le CIO n’avait pas cédé. Mais depuis 1996, à la suite de la mobilisation du comité Atlanta + qui dénonçait la non-mixité de certaines délégations, le CIO a changé de stratégie. Concernant le voile islamique, il se plie désormais aux décisions des fédérations internationales. A partir du moment où les instances du football ou de l’athlétisme l’autorisent, le CIO n’a rien à redire. Son argument, c’est que le voile n’est pas un signe religieux, mais culturel. Dire cela, c’est soit être inculte, soit être complètement hypocrite. Les voiles portés dans le monde islamique sont évidemment un signe religieux. A Londres va donc s’exercer une pression contre les libertés des femmes. Surtout, on peut craindre que les revendications de nature religieuse se multiplient, et conduisent éventuellement à des affrontements dans les arènes sportives.

Dans sa charte, le CIO se retranche derrière l’universalité du sport pour justifier ce genre de politique. Qu’en pensez-vous ?

L’universalité, oui, on peut lui concéder. Mais le CIO ne fait jamais explicitement référence à l’universalisme et aux droits de l’homme. A mon sens, c’est une erreur, car cela contribue à la désuniversalisation des Jeux. On oublie que le sport est à l’image de la société, qu’il peut avoir une face sombre, avec le dopage, les paris truqués, les mafias. N’avoir qu’une lecture optimiste de l’olympisme conduit à une forme d’utopie. On en oublie de développer l’esprit critique. Le CIO est intransigeant avec les manifestations commerciales des athlètes. Il devrait faire de même avec les manifestations religieuses. C’est la limite de son concept de neutralité, qui revient parfois à du laisser-faire. En ce sens, il me semble que le concept français de laïcité est plus opératoire, mais il ne correspond pas à la culture anglo-saxonne.

On pourrait ainsi imaginer autoriser toutes les formes de propagande dans le village olympique, mais pas dans les stades. Le problème, c’est que les grands sponsors du CIO opèrent de plus en plus dans le Golfe et sur les marchés musulmans... Le risque, c’est que le CIO, qui avait gagné son autonomie financière après la guerre froide, retombe dans une nouvelle forme de dépendance. De toute façon, on peut noter que l’olympisme n’a jamais été un progressisme, ni un universalisme ou un humanisme. Il a toujours été à la remorque de l’histoire et n’a jamais été visionnaire. [...]"

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