Collectif Culture commune

"L’Observatoire de la laïcité et l’appel « Nous sommes unis »" (Culture commune, 25 jan. 16)

30 janvier 2016

"[...] Coupables ? Quels coupables ?

Qui sont les coupables du carnage du 13 novembre ? Le texte les définit ainsi : « une violence inouïe et innommable », « la barbarie », « le terrorisme », la « folie meurtrière motivée par une idéologie mortifère et inhumaine », la terreur. Il s’agit d’ailleurs « d’un crime dont seuls les auteurs sont coupables ». D’où vient cette impossibilité qui semble avoir saisi les initiateurs de l’appel, en particulier le groupe « Coexister », de nommer les assassins du 13 novembre ? Innommable, cette violence ? Pourtant elle est revendiquée sans façons par Daësh : « Just Terror » proclame Dabiq, sa revue. Un crime dont seuls les auteurs sont coupables ? Mais tout démontre que l’opération a été préparée par les services de l’Etat islamique qui d’ailleurs s’en fait gloire.

Bien qu’il n’y ait à ce stade aucun problème d’attribution et que les auteurs du texte pouvaient très bien nommer Daësh, ou l’Etat Islamique, sans s’engager sur une analyse ou une caractérisation, ils ont fait le choix de ne pas désigner le coupable.

En refusant de nommer clairement l’Etat islamique, ils s’alignent sur les positions des islamistes qui affectent de dénoncer le terrorisme ou « l’extrêmisme d’où qu’il vienne », mais ne veulent jamais prononcer le nom de Daësh. Il y a tout lieu de se demander si ce refus de reconnaître et nommer les coupables n’était pas précisément une condition posée par eux pour figurer sur l’appel. Autrement dit ce large appel pourrait bien avoir été taillé sur mesures pour satisfaire les islamistes, ce qui, vraisemblablement, n’a pas été indiqué aux autres signataires.

Nous suggérons de comparer dans cette perspective l’appel « Nous sommes tous unis » avec les trois communiqués de presse publiés par le Collectif Contre l’Islamophobie à l’occasion des attentats de janvier et novembre 2015, textes qui sont tous donnés en annexe. On y retrouvera la même novlang, la même condamnation d’une terreur vague, assortie du même refus de nommer distinctement le coupable.

D’où vient la division ?

Les initiateurs de la pétition écrivent : « « La division, la délation, la stigmatisation sont au cœur de ce piège sournois. Chaque fois que nous tentons hâtivement de désigner des responsables de ce crime dont seuls les auteurs sont coupables, nous tombons dans le piège d’une division programmée et orchestrée. »

Effectivement la dislocation morale, intellectuelle et politique de nos sociétés est un objectif du harcèlement terroriste de Daësh. Cet effet figure aussi bien dans les écrits de référence que dans les publications actuelles de l’Etat Islamique. Pour la même raison les mobilisations du 7 au 11 janvier ont précisément donné l’exemple d’une fédération des solidarités : « Je suis Charlie », rejoint par « je suis policier », « je suis Juif ». Cette force unitaire l’a largement emporté sur les courants de division opposés à Charlie.

Mais justement l’appel ne dit pas que la division est venue de ceux qui s’opposaient à Charlie. Il insinue, sans excès de précaution, l’existence et le rôle négatif d’un courant de la division programmée, qui n’est pas non plus nommé ni analysé, mais dont les agissements néfastes entreraient pleinement dans la stratégie terroriste. Et la principale manifestation de ce courant de division serait de « tenter hâtivement de désigner des responsables ».

Ayant donc déjà oublié de nommer les coupables, il faudrait encore éviter de dire ce qu’ils sont, de reconnaître qu’il y a une situation d’hostilité, c’est-à-dire un ennemi, d’analyser une idéologie qui ne produit pas seulement une fureur mais se traduit en stratégie, de chercher enfin les moyens de responsables de cette situation.

Sur quoi repose donc cette imputation de « délation » ? Qui est visé ici de manière grave mais équivoque ? A moins que le fait de rappeler ce que Daësh doit historiquement aux Frères musulmans soit un problème pour les Frères musulmans en France, et ce qu’il doit au salafisme wahabite un problème pour tous ceux qui sont financés par l’Arabie Saoudite ?

Si on veut éviter la stigmatisation des musulmans, le moyen le plus simple est d’empêcher la confusion entre les musulmans et les islamistes, en dénonçant les différents courants islamistes. C’est précisément le sens de la politique de discernement porté par le mouvement en janvier et en novembre, à travers le mot d’ordre « pas d’amalgame ». Il faut distinguer entre les terroristes et les islamistes, mais surtout entre les islamistes et les musulmans.

A rebours de l’esprit de cet appel, nous ne voyons pas comment éviter de nommer les coupables des opérations terroristes : l’Etat Islamique, Al Qaïda. Nous pensons extrêmement utile de caractériser idéologiquement cette hostilité à notre société et nous utilisons, en ce sens, la notion de « djihadisme salafiste ». Autrement dit, la résistance de la société au terrorisme n’est rien d’autre que le combat contre le djihadisme salafiste. L’organisation d’une telle résistance nécessite un véritable débat public, sans sectarisme et sans équivoque. Un tel débat est le meilleur moyen de mettre en œuvre un discernement nécessaire, d’éviter les amalgames, et de construire une unité large et solide.

Nous sommes unis : contre Charlie ? C’est raté.

Finalement la signification profonde du texte de l’appel est tout aussi grave que la présence de certains co-signataires dans la mesure où Coexister n’a pas seulement associé le Collectif contre l’islamophobie, mais l’a rejoint sur ses positions sans craindre de compromettre ainsi d’autres organisations.

La clé de cette opération n’est pas à chercher très loin. Samuel Grzybowski, animateur de Coexister jusqu’à la fin 2015, n’a en effet jamais caché sa double opposition à Charlie – le journal et à Charlie – le mouvement. Il considère le premier comme « islamophobe » et le second comme marqué par la division. L’opération « Nous sommes unis » prend alors une autre signification. Il s’agit d’éviter que la réplique au carnage du 13 novembre puisse apparaître comme la reprise et la continuité des mobilisations de janvier. Avant tout, il faut faire oublier Charlie, ce qu’un slogan aux allures unanimistes, mais qui se présente comme une sorte d’alternative implicite à « Je suis Charlie » devrait permettre. La perspective ainsi ouverte était, à partir de l’appel, de mettre en place un collectif qui aurait eu vocation à organiser les suites du 13 novembre et, ainsi, à supplanter définitivement Charlie.

On sait qu’il n’en a rien été. Ruse de l’histoire : le slogan unanimiste est devenu une occasion de division et c’est l’Observatoire de la laïcité, parrain institutionnel de l’opération, qui se retrouve sur la sellette. Jean Louis Bianco tente de circonscrire les dégâts en expliquant que l’organisation de l’appel ne permettait pas de trier les candidats. Nous venons de montrer que le texte lui-même est problématique. Mais l’Observatoire ne s’est pas arrêté en si bon chemin : il a tenté d’organiser les suites de l’appel en constituant ce fameux collectif. On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer de voir un représentant d’un organisme rattaché aux services du Premier ministre participer à une telle réunion.


La comparaison entre l’appel « Nous sommes unis » et les trois communiqués du CCIF révèle quatre points communs :

  • La condamnation est exprimée dans les mêmes termes généraux, presque vagues : terreur, violence, drame, barbarie, tragédie, attaques.
  • Ni l’Etat islamique (ni Daësh), ni Al Qaïda ne sont cités nommément.
  • Les textes ne mentionnent ni le djihadisme, ni le salafisme, ni l’islamisme.
  • Ils sont tous centrés sur la dénonciation prioritaire de la division et de la stigmatisation."

Lire "L’Observatoire de la laïcité et l’appel « Nous sommes unis »".


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