Revue de presse

L. Joffrin : Laurent Bouvet, "la confession d’un « laïcard »" (liberation.fr , 5 fév. 19)

Laurent Joffrin, directeur de la publication de "Libération". 6 février 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Amateur de polémiques, Laurent Bouvet défend pourtant son parti pris laïque et républicain de manière argumentée et rationnelle dans La Nouvelle Question laïque.

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Le grand méchant loup du « laïcisme », du « républicanisme pur et dur », est-il si méchant ? Militant de la laïcité, cofondateur du « Printemps républicain », promoteur du concept d’« insécurité culturelle » qui défrise tant une partie de la gauche, Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques, est un habitué des polémiques. Il rompt régulièrement des lances avec l’islamo-gauchisme qui sévit dans certains cercles universitaires ou médiatiques, comme avec les partisans d’une « laïcité ouverte » trop libérale ou trop irénique à ses yeux.

On pouvait donc s’attendre à un pamphlet au vitriol contre les « complices de l’islamisme » ou les « idiots utiles » du multiculturalisme à l’anglo-saxonne. Erreur : réfléchissant sur « la nouvelle question laïque », Bouvet donne un livre posé, informé, résumant honnêtement les thèses de ses adversaires, retraçant la genèse du débat virulent qui agite la société française depuis plus de trente ans, un livre dont certains critiqueront le « républicanisme à la française » mais qui défend son parti pris laïque de manière argumentée et rationnelle.

Tout part pour lui de la fièvre identitaire qui a saisi le vieux pays républicain au mitan des années 1980. Montée du Front national xénophobe et antimusulman, inquiétude française face à l’immigration, revendication identitaire dans les « banlieues de l’islam » assortie d’une percée de l’intégrisme, progrès d’une pensée communautariste importée des Etats-Unis dans les milieux universitaires d’extrême gauche, offensive régionaliste, hantise du déclin et angoisse face à l’individualisme moderne chez les intellectuels « néoréacs » : tout a convergé pour transformer les questions religieuses et identitaires en pommes de discorde et faire de la laïcité un enjeu central du débat public.

Il en est résulté, pour faire court, une double instrumentalisation du combat laïque, tombé en désuétude avec le ralliement du catholicisme à la modernité, puis ressuscité avec la croissance en nombre et en visibilité de la religion musulmane. Les uns, xénophobes, ou à tout le moins défenseurs de l’héritage de la chrétienté et des identités traditionnelles, se sont emparés de la laïcité pour la pointer contre l’islam, telle l’épée de Saint-Michel contre le dragon.

Les autres, soit par conviction libérale plus ou moins molle, soit parce qu’ils ont remplacé la lutte des classes par la lutte des races et trouvé dans le musulman opprimé un substitut à l’ancienne classe ouvrière, la tiennent en méfiance, pour ne pas dire en détestation, et la caricaturent en idéologie purement occidentale destinée à perpétuer la domination de l’homme blanc.

Les républicains laïques, dont se réclame Bouvet, se sont ainsi retrouvés pris entre deux feux, dénoncés d’un côté - ou récupérés abusivement - par le parti informel de la xénophobie, fustigés de l’autre par les militants « décoloniaux » ou par les communautaristes de l’islam politique, qui assimilent toute défense de l’universalisme à une forme de racisme ou d’islamophobie.

Bouvet retrace ainsi les nombreuses et amères polémiques qui ont émaillé le débat public, sur le voile à l’école, les interdits alimentaires, la crèche Baby-Loup, la lutte contre le fondamentalisme, le burkini sur les plages, etc. Au fil des pages, il réfute les xénophobes qui importent en France la rhétorique du « choc des civilisations » entre islam et chrétienté, et qui veulent exiger des musulmans une assimilation pure et simple à la culture française, proposant par exemple d’interdire le voile islamique sur la voie publique, ce qui va bien au-delà des prescriptions laïques fondées sur la loi de 1905.

Il réfute symétriquement les discours fondamentalistes qui veulent faire passer la « loi de Dieu » avant celle de la République et réintroduire, par exemple, le voile dans les salles de classe ou encore influer sur les programmes scolaires.

De manière plus fine, il distingue au fond deux formes de laïcité. La première, plutôt multiculturaliste, reprend peu ou prou la conception anglo-saxonne. Elle maintient la neutralité de l’Etat et conçoit que pour l’essentiel la religion est une affaire privée. Mais elle considère que l’expression religieuse dans l’espace public doit obéir à la logique des « accommodements raisonnables » (comme au Canada) et donc donner droit de cité aux signes religieux ostensibles (la burqa, entre autres), y compris dans l’administration et à l’école, et laisser sans mot dire les communautés développer un mode de vie particulier fondé sur les dogmes religieux, seraient-ils fondamentalistes.

La seconde prône une stricte neutralité de l’Etat, une relégation des croyances religieuses dans la sphère privée, et un « combat laïque » mené par le verbe et l’action militante dans la société, de manière à contrer l’influence de l’islam politique, dont les revendications lui semblent contraire à la culture démocratique.

Deux conceptions de la liberté, au fond, s’affrontent dans cette querelle. L’une est libérale : l’Etat reste neutre face aux communautés qui tendent à gérer leurs affaires entre elles. L’autre est républicaine : elle considère que la laïcité doit protéger la liberté religieuse, mais aussi protéger les individus - les femmes au premier chef - contre les excès du fondamentalisme religieux. Elle met donc au premier rang des priorités la lutte contre l’islam politique, celui des salafistes ou des Frères musulmans.

A observer l’évolution des sociétés anglo-saxonnes, à voir les méfaits de l’obsession identitaire qui mine le débat public, il n’est pas sûr que la première soit plus conforme que la seconde à l’idéal d’émancipation des démocraties."

Lire "La confession d’un « laïcard »".



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