Revue de presse

"L’islam en France : ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas" (P. d’Iribarne, lefigaro.fr/vox , 4 août 16)

Philippe d’Iribarne, sociologue. 6 août 2016

[...] Deux lectures opposées s’entrechoquent.

Selon une première lecture, les musulmans représentent un ensemble d’individus dont chacun agit pour lui-même et ne représente que lui-même. Chacun d’eux est titulaire de droits, conformément à la Constitution et à la loi. Parmi ces droits, inspirés par les droits de l’homme, se trouve celui de suivre sa religion et de respecter ses pratiques, pour autant que celles-ci ne troublent pas l’ordre public. La Cour européenne des droits de l’homme n’a admis qu’avec réticence que la France interdise le port de la burqa dans l’espace public. Et à cela près, le port de la tenue islamique fait partie des droits qu’a chaque individu d’exprimer ses convictions religieuses. Avoir accès dans les cantines à une nourriture conforme aux préceptes de sa religion est un droit.

Selon cette lecture, il n’y a aucun lien entre ceux qui respectent la loi de la République et ceux qui la transgressent. Il est scandaleux que les premiers souffrent de l’action des seconds ou même qu’on leur demande plus qu’à d’autres de condamner ce à quoi ils n’ont personnellement aucune part, même si cela est perpétré au nom de l’islam.

Selon une seconde lecture, le monde musulman n’est pas seulement composé d’individus dont chacun agit pour son propre compte mais est animé collectivement, depuis l’origine, par un projet conquérant : étendre le plus largement possible l’emprise de l’islam, avec sa loi et ses mœurs. Il ne fait en cela qu’être parfaitement fidèle au message et à l’action du Prophète. Selon cette lecture, la défense, face à l’État et à la société française, du droit des musulmans à afficher leur différence rejoint les pressions communautaires visant à forcer tout musulman à respecter le ramadan ou encore les actions tendant à intimider les enseignants qui ne respectent pas la vision du monde propre à l’islam. On a là autant d’éléments d’une stratégie conquérante.

En vertu de cette lecture, arborer une tenue islamique, c’est brandir fièrement un drapeau. Et ce drapeau, loin d’être un fanion innocent - comme celui d’un club sportif - est le symbole d’une entreprise prête à la violence. Tous ceux qui se montrent solidaires de celle-ci méritent une réaction de rejet, qu’ils s’engagent dans le terrorisme ou se contentent de mettre en avant les droits de l’individu pour étendre l’emprise de l’islam sur la société.

[...] Notre droit ne connaît que des individus ne représentant qu’eux-mêmes. Mais, pour une grande partie de l’opinion, on a bien affaire à une entreprise collective à laquelle il faut résister. Faute de mieux, la laïcité fournit un habillage à cette résistance. Mais elle a été conçue dans une tout autre perspective : encadrer l’action de l’État et celle des autorités catholiques, non restreindre la liberté des citoyens. Il en résulte un sentiment de faux-semblant, renforcé par le fait que c’est l’islam qui est spécifiquement visé alors que les mesures prises concernent formellement toutes les religions.

La population française n’a pas besoin que le droit reconnaisse un pan de réalité pour constater qu’il existe, et elle est fort tentée de manifester ouvertement son hostilité. Elle l’est d’autant plus qu’incapables de distinguer toujours avec certitude ceux dont l’engagement dans l’islam est susceptible d’être plus ou moins violent, ses membres sont habités désormais par un sentiment de menace diffuse.

Peut-on dépasser cette situation ? Il ne suffit pas pour cela que, dans un moment d’intense émotion, les musulmans condamnent les crimes commis au nom de l’islam, si heureuse que soit cette initiative. C’est en relation avec le projet global qui les inspire que les attentats prennent tout leur sens. Il faudrait donc qu’une frontière claire soit tracée entre l’affirmation légitime des droits de l’individu à suivre sa religion et la participation à une entreprise visant à étendre l’emprise de l’islam avec sa loi et ses mœurs. Cela supposerait que cette entreprise conquérante soit reconnue et nommée, et que soit identifié ce qui dénote le fait d’y participer.

Cela supposerait aussi que, comme certains des plus éminents des leurs tels Tareq Oubrou ou Tahar Ben Jelloun les y invitent, les musulmans de France refusent massivement d’être les agents soit actifs soit passifs d’une telle entreprise : qu’ils acceptent sans réserve les valeurs de la République, et au premier chef la liberté de conscience - jusqu’au droit, pour tout musulman de quitter l’islam ou de ne pas suivre ses préceptes ; qu’ils acceptent en particulier que les musulmanes puissent épouser un non-musulman si c’est leur vœu et que celles-ci n’affirment pas par leur tenue qu’elles sont réservées aux musulmans. [...]"

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