Revue de presse

"L’intolérance gagne le New York Times et la gauche américaine" (lefigaro.fr , 20 juil. 20)

18 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La journaliste Bari Weiss a fait les frais de la chasse aux sorcières menée par l’aile radicale du combat féministe et anti-raciste.

Par Laure Mandeville

C’est l’histoire d’une journaliste centriste de 36 ans, Bari Weiss, curieuse, courageuse et assez culottée, qui vient de claquer la porte d’un des plus prestigieux des journaux d’outre-Atlantique, le New York Times, parce qu’elle y a fait l’objet, dénonce-t-elle, du « harcèlement » d’une partie de la rédaction, au motif qu’elle ne pense pas « comme il faut ». C’est aussi l’histoire d’une planète intellectuelle américaine, qui a tourné à la foire d’empoigne, et qui a laissé une gauche radicalisée imposer un prêt-à-penser de plus en plus envahissant, comme le montre « la culture de l’annulation » prompte à sanctionner tous ceux qui osent réfléchir aux questions d’identité autrement qu’en utilisant la novlangue du « racisme systémique » ou du « patriarcat ».

En ce sens, le geste de Bari Weiss reflète l’inquiétude plus large qui gagne les milieux libéraux, jusqu’ici persuadés que leur seul vrai ennemi idéologique était Trump. Dix jours avant sa démission, une lettre, signée à l’initiative du magazine Harper par 150 intellectuels essentiellement de gauche, avait d’ailleurs alerté contre ces dérives, devenues monnaie courante dans les universités. « Mes incursions dans “la mauvaise pensée” ont fait de moi l’objet d’un harcèlement constant de collègues en désaccord avec mes idées. Ils m’ont traitée de nazi et de raciste », déclare à son tour Bari Weiss dans une lettre ouverte, où elle critique avec sévérité l’état d’esprit partisan et l’autocensure du New York Times.

Crime « de lèse-féminisme »

Trois ans et demi plus tôt, le 8 novembre 2016, la journaliste, 32 ans à l’époque, a éclaté en sanglots à son bureau du Wall Street Journal, quand elle a appris l’élection de Trump. En décalage avec une rédaction très républicaine, elle n’hésite pas, quand le New York Times lui propose de rejoindre ses pages « Opinions », pour en diversifier le contenu. Le quotidien libéral a soutenu sans ambiguïté Hillary Clinton, ratant le phénomène Trump. Sous le choc, il a promis à ses lecteurs une écoute plus attentive de l’Amérique trumpienne. Weiss doit contribuer à la mutation. Mais, très vite, la journaliste s’aventure vers des sujets explosifs. En plein mouvement #MeToo, elle commet un crime « de lèse-féminisme », en publiant une tribune qui critique les excès des zélotes qui condamnent sans preuve.

Alors que déferle une vague frénétique d’accusations de viol, parfois mensongères, cet appel à la modération requiert un certain courage. Repérée par les vigies du politiquement correct, Bari Weiss devient l’ennemi, un « symbole » de la polarisation sur Twitter, note Vanity Fair, qui, dans un portrait flatteur de l’intéressée, souligne que cette image ne reflète pas sa vraie nature - chaleureuse, ouverte à la discussion, refusant les cases idéologiques. Ses articles en défense d’Israël, et ses critiques de « l’appropriation culturelle », (étrange notion défendue par la gauche radicale, qui veut qu’on ne puisse parler des Noirs que si l’on est noir, ou des femmes que si l’on est femme), vont aggraver son cas. Peu à peu, Twitter explose en imprécations contre Weiss la « raciste ».

En interne la situation se tend plus encore sur le réseau Slack, où la journaliste est attaquée à coups d’émoticônes représentant des haches, et d’appels à la limoger ! Ce sont ces mêmes journalistes qui crieront au scandale après la sortie d’une tribune du sénateur républicain Tom Cotton, qui réclame l’envoi de l’armée pour mettre fin aux violences qui émaillent les manifestations antiracistes. Pour eux, le personnel noir du journal s’est senti « mis en danger » par l’article. Bari Weiss évoque alors « une guerre civile » entre les justiciers sociaux « de moins de 40 ans » qui se veulent woke (« éveillés »), et les générations plus anciennes, mal à l’aise avec cette dérive idéologique. Son chef, James Bennett, qui dirige la section « Opinions », va finalement être sacrifié par la direction, à la stupéfaction de reporters de l’ancienne école, comme le correspondant à Paris du New York Times, Adam Nossiter, qui confie au Figaro qu’il « fallait évidemment publier cette tribune ».

La « Dame grise » du journalisme américain a-t-elle cédé au prisme partisan des « justiciers sociaux » ? C’est la conclusion de nombreux éditorialistes de droite, qui notent qu’après avoir excommunié les conservateurs, la gauche radicale révolutionnaire dévore ses propres enfants. Mais deux journalistes chevronnés du New York Times que nous interrogeons, tempèrent ce pessimisme, se disant convaincus que leur journal « survivra à cette crise ». Ils n’ont pas totalement tort.

Le quotidien, dont la santé économique est insolente, reste une mine d’informations de qualité, comme le savent les correspondants étrangers qui le lisent chaque matin. Mais nos deux interlocuteurs n’en reconnaissent pas moins un réel malaise. « Bari Weiss est la messagère imparfaite d’un vrai problème, il y a une forme de censure détestable qui gagne », juge Nossiter. Précisant « apprécier très peu Weiss, dont le départ n’est pas une grande perte », il dénonce néanmoins la chasse aux sorcières « néfaste » dont elle fait l’objet. Nossiter a aussi été « choqué » de lire que « 800 de ses confrères disaient avoir peur, à cause de l’article du sénateur Cotton ». « S’ils ont peur pour ça, ils n’ont rien à faire dans ce métier ! » Il voit toutefois la polémique sur les dérives de la gauche radicale comme une « diversion », qui cache « les deux menaces qui pèsent sur les États-Unis : la pandémie et le régime criminel de Trump ». En ce sens, Nossiter reflète l’opinion du camp démocrate, pour lequel l’actuel président est la source de tous les maux. « L’hystérie du mouvement que dénonce Weiss est juste une réaction néfaste passagère engendrée par Trump, elle disparaîtra quand il aura quitté le pouvoir », pense-t-il, réfutant l’idée d’un manque d’objectivité du Times dans la couverture de la présidence.

Un autre journaliste chevronné de la rédaction, qui ne veut pas être nommément cité, dit partager l’agacement de Nossiter vis-à-vis de Weiss. « La voir déblatérer sur mon journal et le discréditer m’a exaspéré », dit-il, jugeant que la journaliste utilise la crise pour se poser en « héroïne ». Mais ce journaliste reconnaît en revanche une dérive partisane réelle « dans la couverture politique », notant qu’ « elle est encouragée par le lectorat, de plus en plus partisan, dans une Amérique fracturée ». « Même s’il va bien économiquement, le journal patauge », dit-il, expliquant que la direction de la rédaction est prise dans « un dilemme délicat » : son désir d’inclusivité et le but d’objectivité à l’ancienne. « C’est un temps de grande confusion », conclut le reporter."

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