Valérie Toranian, directrice de la "Revue des deux mondes". 10 août 2018
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Les temps changent. L’humour se communautarise. Le plus simple désormais consiste à rire avec les siens. « Il est aujourd’hui admis que les musulmans peuvent à loisir moquer les musulmans, les juifs les juifs, les homos les homos », écrit Philibert Humm. C’est moins risqué. À tel point que certains refusent de donner leur pedigree pour se préserver un espace de liberté ! [...]
« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde », disait Pierre Desproges. En France on meurt pour le droit de rire de tout. Comme les dessinateurs de Charlie Hebdo exécutés par des tueurs islamistes le 7 janvier 2015, parce que leur hebdomadaire satirique avait osé caricaturer le Prophète. Nous avons rencontré le dessinateur Riss, qui a repris courageusement les rênes de Charlie Hebdo après l’attentat. Un héros moderne qui risque chaque jour sa vie.
« Peut-on rire de tout en France aujourd’hui ? Certains veulent y croire. Encore faut-il que les rieurs soient prêts à défendre leur droit à rire autant que les amuseurs leur droit à divertir et à moquer l’époque. »
Il évoque dans un long entretien son enfance, ses inspirateurs, son itinéraire, depuis ses premiers dessins à la Grosse Bertha jusqu’au comité de rédaction de Charlie Hebdo aux côtés de Cabu, Charb et Wolinski. Riss, rescapé de la tuerie, au cours de laquelle il fut blessé, raconte la vie après la mort : « Pour nous ce n’est pas fini, nous sommes toujours le lendemain du 7 janvier 2015, c’est un lendemain qui ne finit pas. […] Je vis avec la moitié de ma vie. »
Contrairement au journaliste Philippe Lançon, qui vient d’écrire un magnifique récit, le Lambeau [1] [2], Riss n’a pas publié de témoignage personnel. Pas encore. S’il le fait, ce sera pour éveiller les consciences assoupies, frileuses, qui regardent ailleurs. « Aujourd’hui nous sommes un peu dans Soumission de Michel Houellebecq, regrette-t-il : “On s’y fera”. Le milieu islamo-gauchiste est toujours là pour répliquer, pour occuper le terrain ; eux sont vraiment dans une logique de combat. » Depuis l’attentat, certains dessinateurs qui frappent à la porte de Charlie demandent à signer d’un pseudonyme. « On peut les comprendre », dit Riss, fataliste. « Nous pensions que cette facilité d’humour était un acquis, or ce n’est pas vrai. On est confrontés à des mouvements de reflux. »
Peut-on rire de tout en France aujourd’hui ? Certains veulent y croire. Encore faut-il que les rieurs soient prêts à défendre leur droit à rire autant que les amuseurs leur droit à divertir et à moquer l’époque. Et que les réseaux sociaux, hypocritement relayés par les médias classiques, ne se transforment pas en seuls juges de paix du bon et du mauvais goût au nom de la bien-pensance."
[1] Philippe Lançon, Le Lambeau, Gallimard, 2018.
[2] Lire aussi la note de lecture Philippe Lançon – Comment passe-t-on de vivant à survivant ? (E. Marquis) (note du CLR).
Voir aussi La Revue des deux mondes : "Le rire est-il mort ?" (juil.-août 18) (note du CLR).
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