Lydia Guirous, fondatrice du club "Future au féminin", auteur de "Allah est grand la République aussi" (JC Lattès). 17 décembre 2014
"L’autorisation de porter le foulard donnée aux mères musulmanes dans les sorties scolaires fait polémique. Nous avons demandé son point de vue sur la question à Lydia Guirous, fondatrice du club "Future au féminin", qui vient de publier "Allah est grand la République aussi" (éditions JC Lattès). Un hymne vibrant à la laïcité, écrit par une roubaisienne née en Algérie.
La ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, s’est prononcée pour l’autorisation du foulard, lors des sorties scolaires, alors que la circulaire Chatel de 2012 l’interdisait. Votre point de vue ?
Je me souviens d’une "dame en noir" strictement voilée à la sortie de mon lycée, qui distribuait toujours des tracts contre ceci ou cela. Qui nous jetait des regards sombres parce que nous portions une jupe, ou avions les cheveux mouillés (ce qui signifiait qu’on avait été à la piscine, mélangées avec des garçons, quelle horreur, n’est-ce pas ?)
Je ne dis pas que toutes les mères voilées sont des islamistes radicales. Néanmoins, accepter des mères voilées lors des sorties scolaires, c’est ouvrir une fenêtre aux religieux, et aux intégristes. Car ces femmes ne sont pas juste de gentilles "mamans toutes égales" comme elles se présentent. Derrière elles, il y a des intégristes qui ont une vision politique : faire plier la laïcité à la française, devenue pour certains radicaux l’ennemi à abattre.
Or pour moi, dès qu’on s’approche d’une mission de service public comme l’accompagnement d’une sortie scolaire, les mères, jouent de facto, temporairement le rôle d’un agent de l’Etat. Elles doivent donc observer une neutralité religieuse. Pour moi, c’est ça entre autres, la laïcité. J’ai aussi envie de dire que la foi ne se réduit pas à un foulard. C’est quelque chose d’intime. Elles ne seraient donc pas moins croyantes en ôtant leur foulard pendant quelques heures.
Vous craignez le prosélytisme ?
Il y a un risque d’influencer les enfants ("la maman de Kamel, elle porte le foulard. Pourquoi pas toi maman ?"). D’entorses en entorse à la laïcité, un jour, notre modèle républicain ne voudra plus dire grand chose. La cohésion nationale sera émiettée en communautés. Je ressens une certaine lâcheté de la gauche, qui court après le vote des musulmans, face à ce foulard qui est un pourtant un marqueur de la soumission et de l’infériorité des femmes aux hommes de la communauté musulmane.
Mais beaucoup disent qu’elles portent le foulard volontairement…
Certes, certaines se revendiquent même féministes. Mais c’est un non sens. Comment peut–on se dire pour l’égalité femmes hommes, en portant volontairement un symbole de soumission dans un pays ou les femmes ne sont pas obligées de le porter, tandis que dans d’autres pays, elles luttent pour s’en débarrasser, parfois au péril de leur vie. Moi j’ai une tante en Algérie qui a reçu des menaces de mort, parce qu’elle refusait de porter le voile.
Ces françaises voilées, que je connais bien, sont les idiotes utiles des salafistes. Elles disent qu’elles ne sont pas forcées à porter le voile par un père, un frère ou un mari, mais en même temps, l’objectif de leur vie, c’est avant tout de se marier et d’avoir des enfants. Si elles sont si libres que ça, pour quoi ne vivent-elles jamais seules ? Pourquoi ne sortent elles pas le soir entre copines ? Des femmes voilées seules dans un café, vous en voyez souvent ?
C’est vrai qu’on ne les entend pas beaucoup sur le terrain des droits des femmes…
Elles sont absentes de tous les combats féministes. Elles sont contre l’IVG, surtout chez les mineures, puisqu’elles sont pour la virginité jusqu’au mariage. Elle sont absentes des combats contre la violence conjugale, pour l’égalité salariale, professionnelle et politique. Jusqu’ici, elles ne se sont mobilisées que contre les ABCD de l’égalité à l’école.
Et comme elles sont ultra-conservatrices, elles font cause commune avec les catholiques intégristes et l’extrême droite contre le mariage gay. Il faudrait rappeler dans les écoles des quartiers qu’en France, une femme a le droit de disposer de son corps. A les entendre, on est tous des imbéciles qui ne savent pas ce que c’est que la laïcité mais eux vont nous l’expliquer. Elle utilisent le féminisme comme un produit marketing pour lisser l’image des gens qui sont derrière elles.
Dans votre livre, vous parlez beaucoup de la communautarisation à Roubaix…
Là bas, on assiste à une terrible régression. Les femmes commencent par un petit foulard et finissent par un grand jilbeb qui mange l’ovale du visage, voire un niqab pourtant interdit par la loi. Et ce sont des filles qui ont grandi avec moi… Dans les années 60, à Alger, ma mère portait des petites robes et des chaussures à talons. Quand je demande aux roubaisiennes pourquoi elles portent foulard ou jilbeb, elles me répondent que "c’est mieux comme ça", comme si elles cédaient aux pressions de l’entourage, à la "mode" locale, ou bien "ça fait plaisir" à leur mari…
Certaines le portent aussi parce qu’elles n’ont rien à perdre : elles n’ont pas fait de grandes études, elles sont parfois au chômage. Elles savent que même sans voile, elles ne seraient pas allées très loin. Dans cette micro société, le voile et le statut de mère (car une célibataire qui vit seule est vue comme une traînée) est aussi une façon de maquiller l’échec. A Roubaix, je passe pour une originale, parce que j’ai fait des études supérieures, j’ai vécu seule à Paris. Je me suis mariée "tard", à 28 ans ce qui me vaut des "Comment, t’as pas d’enfants ?" sidérés.
Face à cette régression, vous n’êtes pas tendre pour les politiques…
Face à cette communautarisation galopante, on a des politiques qui se taisent, pétrifiés à l’idée d’être taxés d’islamophobie et de racisme. Vous vous rendez compte que chez Morandini, sur Europe 1, une élue Front de gauche m’a traitée de "raciste", - moi qui suis musulmane de famille algérienne ayant fui la guerre civile en Algérie ! - , et de "bourgeoise parisienne" sous prétexte que j’ai étudié à la très sélective université Dauphine ? Et puis je suis secrétaire nationale du Parti Radical en charge de la lutte contre les discriminations et les Droits des Femmes. J’en conclus que ce serait tellement mieux que je colle au cliché de la beurette en BEP qui porte le foulard et se victimise."
Lire "Les mères accompagnatrices voilées représentent-elle une menace à la laïcité ?".
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