26 octobre 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Au nom de la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme tolère le révisionnisme d’anciens proches du Maréchal
Lire "L’Europe au secours de Pétain".
Les grandes décisions européennes ne bénéficient pas toutes de la même attention. Qui sait que, le 25 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour « atteinte à la liberté d’expression » ? Cette sanction, qui a provoqué un grand émoi au Quai d’Orsay, n’a guère suscité d’échos. Il est vrai que le ministère de la Justice conseille aux journalistes de « ne pas lui donner de publicité pour éviter toute récupération par l’extrême droite ». Car cette condamnation constitue, après quinze ans de procédure, une victoire posthume pour Jacques Isorni, ancien avocat de Philippe Pétain, et pour François Lehideux, ancien secrétaire d’Etat de Vichy.
En tant que responsables de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (qui milite pour la révision de son procès), ils avaient tous deux fait paraître, en 1984, sur une pleine page du quotidien Le Monde, une publicité constituée d’un long texte vantant les mérites de Philippe Pétain. La vigilance - pourtant aiguisée - du quotidien s’était laissé abuser par ce tissu de contrevérités historiques graves invoquant le « double jeu » du Maréchal, ses « accords secrets avec l’Amérique » ou les éternelles élucubrations sur la « mission Rougier » à Londres.
La publication de cette anthologie du révisionnisme vichyste fut attaquée par l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance. Le Monde - à titre principal - ainsi que Jacques Isorni et François Lehideux - à titre de complices - furent condamnés en 1990 pour « apologie de crimes et délits de collaboration avec l’ennemi », délit de presse défini par la loi du 5 janvier 1951. Estimant que la justice française violait l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, protégeant la liberté d’expression, les deux anciens pétainistes déférèrent leur condamnation devant le tribunal de Strasbourg.
L’affaire et l’ « histoire d’un Etat »
Le contenu de la décision de la cour européenne, rendue à la majorité de 15 juges contre 6, est renversant, tant sur le plan historique que sur le plan communautaire, et l’on comprend la gêne des militants de l’Europe. Pour condamner la France, les juges européens estiment en effet que l’argumentation fantaisiste des pétainistes, telle que la thèse du double jeu appliquée à la rencontre Hitler-Pétain de Montoire, « relève d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements dont il s’agit. A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis ». Ils en concluent que la condamnation française « s’analyse sans conteste en une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression ».
Devant la cour, le directeur des affaires juridiques du Quai d’Orsay et le chef du bureau des droits de l’homme à la chancellerie ont plaidé l’incompétence de l’échelon européen : l’affaire, selon eux, concerne l’ « histoire d’un Etat », laquelle « échappe par nature à toute définition à l’échelle européenne » et relève d’une « marge d’appréciation » nationale. Balayant cette objection, la Commission européenne des droits de l’homme a invoqué « l’importance, dans une société démocratique, du débat historique concernant un personnage public à propos duquel, comme c’est le cas de Philippe Pétain, différentes opinions ont été et peuvent être exprimées ». Les juges ont donc estimé « non nécessaire, dans une société démocratique, la condamnation pénale subie par les requérants ». Et ont ajouté : « La cour relève en outre que les événements évoqués dans la publication litigieuse se sont produits plus de quarante ans avant celle-ci. Même si des propos tels que ceux des requérants sont toujours de nature à ranimer la controverse et à raviver les souffrances dans la population, le recul du temps entraîne qu’il ne conviendrait pas, quarante ans après, de leur appliquer la même sévérité que dix ou vingt ans auparavant. »
Cette nouvelle avancée jurisprudentielle nous apprend donc que le principe européen de subsidiarité ne s’applique plus à l’histoire nationale : sur ce sujet, l’Europe s’estime compétente pour étaler son incompétence."
Comité Laïcité République
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