17 mars 2011
"Au Puy-en-Velay, le chef de l’Etat n’en était pas à sa première sortie polémique sur l’"héritage chrétien" de la France. Élu par 77% des catholiques en 2007, Nicolas Sarkozy n’a cessé depuis d’envoyer des messages à cet électorat de choix.
Nicolas Sarkozy a estimé, jeudi 3 mars, que la "chrétienté a laissé" à la France "un magnifique héritage de civilisation".
"Cet héritage nous oblige, cet héritage, c’est une chance, mais c’est d’abord un devoir, il nous oblige, nous devons le transmettre aux générations, et nous devons l’assumer sans complexe et sans fausse pudeur", a expliqué le chef de l’Etat au Puy-en-Velay (Haute-Loire) lors d’une visite liée à "l’héritage patrimonial de la France" dans ce haut-lieu du catholicisme, l’une des étapes du pèlerinage catholique vers Saint-Jacques de Compostelle, alors que Les Echos révélaient qu’il pourrait assister le 1er mai prochain à la béatification de Jean-Paul II alors qu’aucun président français en exercice avant lui ne s’était encore déplacé pour ce genre de cérémonie.
Selon Nicolas Sarkozy, le "premier devoir" est de "conserver et restaurer" cet héritage, une "mission, a-t-il promis, "à laquelle l’Etat ne peut et ne doit se dérober". "Président de la République laïque, je peux dire cela", s’est-il justifié. Rien d’étonnant. Elu par 77% des catholiques au deuxième tour des élections en 2007, Nicolas Sarkozy ne recueille plus que 47% d’opinions favorables chez cet électorat, selon une étude menée par l’Ifop à l’été 2010.
A moins de quatorze mois de la présidentielle 2012, il y a fort à parier que l’"émouvant pélerinage sondagier" du président de la République, qui écrivait en 2004 dans son livre "La République, les religions, l’espérance" "je suis de culture catholique, de tradition catholique, de confession catholique", ne fait que commencer.
Des déclarations qui ne sont cependant pas au goût de tous, alors que l’UMP doit lancer, avec le feu vert du chef de l’Etat, un débat sur la laïcité et la place de l’islam qui suscite des réserves jusque dans les rangs de la majorité.
Sur son blog, Claude Bartolone fustige des propos "indignes de la fonction présidentielle" proférés par un "multirécidiviste du genre" qui " remet en cause le socle laïque" de la France.
"En fragmentant la société, en distinguant les bons Français des autres, en soumettant certains de nos concitoyens à un débat sur l’islam dont on perçoit déjà les relents nauséabonds, Nicolas Sarkozy remet en cause le socle laïque sur lequel repose notre pays depuis plus d’un siècle", écrit le président PS du conseil général de Seine-Saint-Denis.
Fait chanoine d’honneur de l’Archibasilique de Saint-Jean-du-Latran par le pape Benoît XVI en décembre 2007, un titre certes dévolu à tout chef d’Etat français depuis Henri IV, mais que plusieurs d’entre eux se sont abstenus d’aller chercher, Nicolas Sarkozy, pourtant "président de la République laïque", n’en est pas, il est vrai, à sa première déclaration polémique sur la religion.
"Héritage chrétien"
Le 5 décembre 2007, à l’université de Mentouri, à Constantine, le président de la République affirme croire "que le sentiment religieux est un sentiment très noble", et loue ce que "la foi peut accomplir de plus grand et de plus beau". "Il n’est rien de plus fort que la volonté humaine lorsqu’elle est soutenue par une foi vivante".
Le 13 décembre 2007, le chef de l’Etat se rend à l’Archevêché de Paris pour une réception en l’honneur d’André Vingt-Trois. Il y évoque le "long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays". "La France est majoritairement catholique, chrétienne", insiste-t-il.
Le 20 décembre 2007, pour sa première visite en tant que président de la République au Vatican - sept mois après son élection, alors que Jacques Chirac avait mis trois ans avant de s’y rendre -, Nicolas Sarkozy réitère ses propos sur "le fait spirituel". "C’est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale" déclare-t-il avant d’ajouter qu’"un homme qui croit est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent".
Des propos qui feront s’interroger le secrétaire national du PS à la laïcité, Jean Glavany, qui y voit l’insinuation que "l’espérance ne peut être que religieuse".
"Et Guy Môquet, monsieur le président ? Était-ce bien la peine de rendre hommage au jeune résistant communiste pour ainsi le disqualifier ensuite en lui déniant toute espérance et toute visée de sens ?" écrit-il, citant le philosophe Henri Pena-Ruiz.
La réponse se trouve sans doute encore dans le discours de Latran, au cours duquel Nicolas Sarkozy explique, dans une affirmation qui sonne comme un couperet, que la laïcité "ne saurait être la négation du passé" et n’a "pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes". "Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance".
Quelques semaines plus tard, le 14 janvier 2008, devant des dignitaires saoudiens, à Riyad, le président de la République enfonce le clou. Dans un discours devant le Conseil consultatif d’Arabie saoudite au cours duquel Nicolas Sarkozy prononcera treize fois le mot "Dieu", il célèbre "le Dieu unique des religions du Livre. Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect"
Aujourd’hui, "ce n’est pas le sentiment religieux qui est dangereux, c’est son utilisation à des fins politiques régressives au service d’une nouvelle barbarie". "Dans le fond de chaque civilisation, il y a quelque chose de religieux", explique-t-il, justifiant ses propos, face au tollé qu’ils provoquent, lors de ses vœux aux forces de la Nation, trois jours plus tard : "Je sais qu’on m’accuse beaucoup de trop m’intéresser à la religion, mais je pense qu’on peut respecter ceux qui veulent aller à la messe et ouvrir les bibliothèques le dimanche". "Ce n’est pas absolument contradictoire. Je ne mets pas en cela gravement en cause la laïcité", croit-il savoir.
"Laïcité positive"
Le 12 septembre 2008, alors que le pape Benoit XVI, en visite pour la première fois en France assure que "les racines de la France, comme celles de l’Europe, sont chrétiennes" et que "la laïcité n’est pas en contradiction avec la foi", Nicolas Sarkozy parle, lui, de "laïcité positive". "La laïcité positive, la laïcité ouverte, c’est une invitation au dialogue, à la tolérance et au respect. C’est une chance, un souffle, une dimension supplémentaire donnée au débat public", dit-il.
Consacrant une partie de son allocution à la "dignité des personnes", le chef de l’Etat martèle que "nous [les Français, ndlr] ne mettons personne devant l’autre, mais nous assumons nos racines chrétiennes". " J’ai souvent eu l’occasion de parler des racines chrétiennes de la France", explique-t-il, avant de préciser : "Ça ne nous empêche pas de tout faire pour que nos compatriotes musulmans puissent vivre leur religion à égalité avec toutes les autres."
8 octobre 2010, en pleine polémique sur l’expulsion des Roms, Nicolas Sarkozy se rend pour la deuxième fois à Rome pour rencontrer le Pape. Objectif : montrer que tout va bien entre les catholiques et Paris, alors que le pape, moins de deux mois après les déclarations de Benoît XVI devant des pèlerins français. "Les textes liturgiques de ce jour nous redisent que tous les hommes sont appelés au salut. C’est aussi une invitation à savoir accueillir les légitimes diversités humaines, à la suite de Jésus venu rassembler les hommes de toute nation et de toute langue", déclare-t-il lors de la prière de l’Angelus, le 22 août.
En octobre, l’échange entre les deux hommes est toutefois cordial. "Je garde un grand souvenir de ma visite en France", déclare Benoit XVI évoquant "l’âme catholique de la France". "Ce fut un honneur pour la France et une grande réussite", lui répond Nicolas Sarkozy avant d’évoquer, dans un discours à l’ambassade de France près le Saint-Siège, en présence du cardinal Tarcisio Bertone "2000 ans d’histoire commune".
"La France n’oublie pas qu’elle a avec l’Église 2000 ans d’histoire commune et qu’elle partage avec elle, aujourd’hui, un trésor inestimable de valeurs morales, de culture, de civilisation qui sont inscrites au cœur de son identité".
Tristan Berteloot - Nouvelobs.com"
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