Revue de presse

L. Bouvet : « Seul le retour de la politique peut apaiser l’insécurité culturelle » (Le Figaro, 13 jan. 15)

Laurent Bouvet est auteur de « L’insécurité culturelle » (Fayard). 16 janvier 2015

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"L’insécurité culturelle est-elle renforcée par le terrorisme ?

Ce qui vient de se passer pourrait renforcer, si l’on n’en tire aucune leçon, l’insécurité culturelle telle que je la définis dans ce livre. Elle renvoie en effet à l’inquiétude, la peur ou l’anxiété de certaines personnes ou de certains groupes sociaux vis-à-vis des bouleversements qu’ils vivent ou ressentent quant à leur mode de vie, à leur « identité culturelle » en particulier. Elle procède d’un ensemble de représentations-c’est-à-dire des manières individuelles et collectives dont on voit le monde, la société, etc.- que nous nous faisons à partir de nos expériences, de notre « vécu », mais aussi des constructions médiatiques et des instrumentalisations politiques de toutes sortes. Des représentations plus ou moins vraies ou fausses… qui structurent notre imaginaire et influencent notre comportement politique notamment.

Le terrorisme islamiste, qu’il soit lointain ou proche, exacerbe une anxiété collective déjà forte en raison de la crise économique et sociale, particulièrement au sein de populations fragiles. Il conduit notamment à renforcer la méfiance voire l’hostilité d’une partie de la population à l’égard de l’islam et des musulmans en général.

Quels sont ses ressorts ?

La mondialisation et ses multiples effets, les changements technologiques incessants, les menaces environnementales et sanitaires, l’islamisme et le terrorisme qui en découle, les mouvements de population et l’immigration… créent une peur diffuse et multiforme. Un monde illisible qui offre d’autant moins d’opportunités à ceux qui sont exposés aux difficultés économiques et sociales qui découlent de la mondialisation.

Si une telle insécurité est étroitement liée à la situation économique et sociale de ceux qui la ressentent, l’éprouvent ou l’expriment, elle porte en revanche sur des éléments d’une autre nature. Des éléments « culturels » en ce qu’ils sont associés aux modes de vie ou à la religion par exemple. Ainsi, l’immigration et l’islam apparaissent-ils aujourd’hui comme des facteurs de tension et de clivage dans nombre de sociétés européennes bien au-delà des difficultés économiques classiques.

Dans une telle perspective, l’immigré n’est plus seulement perçu comme un concurrent sur le marché du travail ou au regard de prestations sociales mais comme susceptible de modifier le mode de vie et les « valeurs » des autochtones. C’est pourquoi un islam devenu plus visible dans l’espace social (coutumes vestimentaires, pratiques alimentaires, fêtes religieuses, statut des femmes…) est vécu par certains comme une menace par rapport à leur propre « identité ». Que cette menace soit réelle ou fantasmée, peu importe politiquement, car elle entraîne les mêmes conséquences, notamment en faveur des forces politiques qui l’instrumentalisent à leur profit, au premier rang desquelles le Front national.

La gauche répond-elle à ce sentiment ?

Au contraire, une partie de la gauche, qu’elle soit radicale ou libérale, privilégie depuis des années dans son discours comme dans ses propositions politiques une vision multiculturaliste de la société. Elle met en avant une thématique comme la « diversité » ou répond prioritairement à certains groupes d’intérêt qui s’érigent en représentants de minorités. Une telle attitude participe à l’exacerbation d’une représentation identitaire voire communautariste de la société française. D’autant qu’elle fait face à une autre dérive identitaire, celle d’une partie de la population autochtone souvent (auto) désignée comme « Français de souche » ou « petits Blancs ». Un des risques majeurs pour la société française est celui d’un débat politique qui se résumerait à l’affrontement entre des groupes, des partis qui exploitent l’insécurité culturelle vécue ou ressentie des deux côtés.

Pourquoi le FN en profite plus que le Front de gauche ?

Parmi les forces qui contestent le « système » dans son ensemble et critiquent la politique économique induite par les choix européens faits depuis trente ans, le FN profite nettement mieux que la gauche de la situation. Non en raison de son programme économique, mais précisément parce qu’il insiste sur les questions culturelles et identitaires.

Ainsi, par exemple, son protectionnisme est-il « total ». Il s’applique non seulement aux capitaux et aux biens et services mais également aux personnes. Son « anti-immigrationnisme » lui permet de donner une sorte de cohérence à son projet. Ce qui est évidemment impensable pour la gauche. D’où un hiatus permanent, peu porteur politiquement, entre un discours qui s’adresse aux perdants et aux victimes de la mondialisation et un programme qui reste avant tout orienté vers les services et l’emploi publics, et donc vers des catégories sociales moins directement touchées par la mondialisation. Un programme par ailleurs empreint de générosité envers les immigrés, par le traitement des sans-papiers par exemple, qui occulte les questions d’identité et de frontières aussi bien que les difficultés du « vivre-ensemble » évoquées par les populations auxquelles il prétend s’adresser.

Quid de la droite…

À droite, le grand écart se fait de plus en plus sur cette thématique et de moins en moins sur les questions économiques. Entre, d’une part, une fraction de la droite qui entend directement concurrencer le FN sur la question de l’identité nationale, du rejet de l’immigration et de l’islam, en espérant lui reprendre des électeurs et, de l’autre, une autre fraction, conservatrice, qui insiste davantage sur les questions de valeurs culturelles au sens « sociétal » (antimariage gay, famille, respect de l’autorité et de la tradition, etc.) dont beaucoup peuvent être partagées avec des musulmans.

Comment éviter la guerre de tous contre tous ?

C’est, aujourd’hui plus que jamais, à la lueur des événements tragiques que l’on vient de vivre, la priorité des priorités politiques.

En France, insister sur ce qui nous est commun plutôt que mettre l’accent sur nos différences identitaires porte un nom : la République. Notre conception du « vivre-ensemble », très particulière au regard des expériences étrangères et de l’Histoire, est en effet politique et non ethnique ou religieuse. Elle procède d’une volonté, qui pour exister doit être commune précisément, de bâtir et d’entretenir un espace de liberté et d’égalité, un espace public, accessible et ouvert à tous, sans distinction d’origine ou de condition.

C’est à ce projet, à la fois historique et aujourd’hui largement oublié, qu’il nous faut contribuer. C’est en tout cas ce que j’ai essayé de faire avec ce livre."

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