Revue de presse

L. Bouvet : "Petite histoire du drapeau français" (lefigaro.fr/vox , 27 nov. 15)

Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "L’insécurité culturelle" (Fayard). 29 novembre 2015

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"[...] Que signifient le drapeau tricolore et l’hymne national ? En quoi rassemblent-t-ils les Français ?

Ce sont les symboles de la Nation, celle qui s’est détachée de son incarnation dans le roi au moment de la Révolution, dès le serment du Jeu de Paume en 1789 puis définitivement en 1792 après Valmy avec la proclamation de la République. Cette Nation est ainsi devenue souveraine et s’est battue les armes à la main pour défendre cette liberté toute nouvelle. C’est donc un héritage commun des Français même si une partie d’entre eux ne l’ont pas immédiatement accepté ou compris, soit parce qu’ils se battaient pour le drapeau blanc, celui de la monarchie, soit parce qu’ils se sont battus pour le drapeau rouge, celui de la révolution sociale.

Ce sont ensuite ajoutés à ce moment fondateur des usages nationalistes ou impérialistes du drapeau tricolore, en France, en Europe et dans le monde. Le drapeau tricolore a en effet aussi été celui de l’épopée napoléonienne, celui de la colonisation tout au long du XIXème et du XXème siècles comme il a été celui de l’Etat français à Vichy. Pas seulement celui des soldats de l’An II, des révolutionnaires de 1830 ou de la France Libre. C’est notamment pourquoi, aujourd’hui encore, on trouve des Français qui ont du mal à « pavoiser » ou à reconnaître l’emblème national comme le leur, sans réserve.

On peut le comprendre, et il n’y a bien évidemment pas d’obligation à l’amour inconditionnel du drapeau ou au chant à haute voix de la Marseillaise. La fierté nationale peut prendre d’autres formes et ne suppose pas d’abdiquer son esprit critique. Pourtant, dans des circonstances comme celles que traverse le pays aujourd’hui, ce genre de considérations paraissent très secondaires voire futiles. La politique est aussi affaire de priorités, et l’unité nationale face à la menace terroriste supporte mal les ratiocinations et les coquetteries que l’on peut se permettre, à gauche notamment, en temps normal.

Les Français ont montré ces derniers jours leur attachement à différents symboles. Peut-on y voir un retour du sentiment national ? Cela est-il rassurant ou inquiétant ?

Avant même de savoir si c’est rassurant ou inquiétant, il faudra voir si cet attachement est… durable. Le choc est tel que les comportements peuvent être aussi exceptionnels que les circonstances. Nul ne peut aujourd’hui le dire.

Sur le fond, on peut considérer que le retour du sentiment national dans les esprits et les coeurs français est une bonne chose pour au moins deux raisons.

La première, c’est que face à l’impuissance et même la dislocation de l’Europe, il peut être utile voire nécessaire de retrouver un espace de solidarité, de reconnaissance mutuelle - je n’ose dire d’identité collective - et de délibération qui soit à la fois légitime (car démocratique) et efficace. Tant du point de vue de la sécurité que de celui de la prospérité ou de la mobilité sociale par exemple.

La seconde raison pour laquelle une telle réappropriation peut être positive, c’est au regard de la captation voire de la confiscation par le Front national des symboles et emblèmes nationaux. Si bien d’ailleurs que depuis des années, le drapeau voire l’hymne national ont pu passer aux yeux de certains pour des signes de nationalisme et donc de… lepénisme ! Il en va de même d’ailleurs pour la laïcité désormais.
C’est intéressant, car une telle réappropriation pourrait aider voire contraindre la gauche en particulier à s’interroger sur son rapport à la Nation, celui dont on parlait plus haut. Car c’est en partie en raison de ce débat interne à la gauche, que l’on évoquait, sur le « sens du peuple », que le FN a pu si facilement s’emparer des symboles nationaux pour en revendiquer l’exclusivité.

La première décision de François Hollande au soir des attentats a été de rétablir les frontières. Est-ce également le retour de l’État-nation et de son corolaire la souveraineté populaire ?

La question des frontières est une question politique essentielle. C’est celle qui lie étroitement identité et souveraineté, qui permet de relier les trois dimensions du peuple au sens moderne, celui qui est acteur de son destin depuis la Révolution française : la démocratie, la nation et le social. Ainsi, seul un peuple libre, indépendant et souverain peut créer les conditions d’une réelle solidarité entre ses membres. C’est un tout indissociable. L’erreur de la construction européenne telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à maintenant a été de croire le contraire.

Ce tout indissociable n’est possible qu’à l’intérieur d’un espace délimité par des frontières, c’est-à-dire d’un lieu qui marque la différence entre l’extérieur et l’intérieur, en termes de droits, de devoirs, etc. Ce qui fait d’ailleurs qu’une frontière ne peut être ni un mur ni un non-lieu. Une frontière a une épaisseur, une consistance, il s’y passe des choses, on ne doit pas la franchir de manière anodine comme on va au marché par exemple. Mais une frontière doit aussi rester un espace que l’on peut franchir dans un sens comme dans l’autre.

C’est une question que non seulement les Français mais encore tous les Européens feraient bien de se poser sérieusement. Pas seulement dans l’urgence face à la crise des migrants mais de manière politique, principielle. Cela nous aiderait sans doute à sortir des errements de ces dernières décennies et à retrouver une « doctrine » en la matière qui fait cruellement défaut aujourd’hui.

La frontière considérée à nouveau comme objet politique et non comme simple obstacle économique, comme l’un des lieux de notre « commun », à la fois en termes d’identité, de souveraineté et de solidarité, voilà ce qui pourrait bien être un effet positif inattendu de la crise générale que nous traversons."

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