Revue de presse

L. Bouvet : A gauche, "la ligne de clivage passe entre un républicanisme laïque et un multiculturalisme normatif" (lefigaro.fr/vox , 19 déc. 16)

Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "L’insécurité culturelle" (Fayard). 21 décembre 2016

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] Ce que l’on ne sait pas aujourd’hui, et qui est sans doute le point essentiel, c’est quel enjeu sera au cœur de la recomposition, autour de quelle question structurante se fera la clarification. Si c’est, par exemple, sur l’économie et le social, entre social-libéralisme et social-démocratie plus classique, le rapport de force ne sera pas le même que s’il s’agit de l’identité et du « culturel » où la ligne de clivage passe entre un républicanisme laïque insistant sur le commun et un multiculturalisme normatif valorisant les identités spécifiques de groupes communautaires préconstitués.

Disons pour simplifier que selon ce qui sera privilégié, comme clivage, par les acteurs de cette recomposition, dans la campagne et surtout après l’élection, quel que soit son résultat, on débouchera sur un paysage politique très différent. Plus important encore, si à gauche les protagonistes de ce moment particulier, historique à bien des égards, se trompent de clivage pertinent ou veulent à tout prix en imposer un qui ne correspond pas aux aspirations et demandes de l’électorat prêt à les suivre, alors le prix politique d’un tel décalage sera très élevé. Et la gauche française restera éloignée de tout pouvoir pour longtemps. [...]

Toute refondation du PS ne présuppose-t-elle pas la scission du Parti d’Épinay en deux entités distinctes avec d’un côté un espace social-libéral partagé entre Manuel Valls et Emmanuel Macron et de l’autre un espace davantage social-étatiste avec une légère composante souverainiste voire démondialiste qu’Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon pourraient incarner à leur manière ?

Le clivage autour duquel vous envisagez une telle scission est avant tout économique. Comme je le disais plus haut, c’est probablement autour de celui-ci que se fera une recomposition si elle a lieu, et c’est spontanément celui auquel on pense quand on évoque les fameuses « gauches irréconciliables » énoncées par Valls il y a quelques mois. Sauf que ce n’était pas à ce clivage que le Premier ministre d’alors faisait allusion, ou du moins pas seulement. Sauf, surtout, qu’un tel clivage économique n’est plus nécessairement prioritaire chez les électeurs de gauche.

Les préoccupations économiques et sociales (emploi, pouvoir d’achat, avenir des enfants…) restent bien évidemment essentielles mais elles ne sont plus reliées directement à la réponse politique qui peut leur être apportée. Des années d’augmentation de la défiance des citoyens envers les responsables politiques sont passées par là, droite et gauche confondues. L’idée de voter pour un candidat et un parti qui ne vont pas faire ce qu’ils ont annoncé est devenue insupportable à une grande majorité de nos concitoyens. Ils considèrent désormais très largement que les responsables politiques soit ne peuvent pas soit ne veulent pas infléchir la contrainte budgétaire européenne par exemple ou agir pour réguler les marchés financiers. Donc qu’ils sont impuissants, par choix ou par contrainte, sur l’économie. C’est pourquoi les questions hors économie, notamment concernant l’identité et les enjeux « culturels » sont devenues si importantes. C’est pourquoi ce sont des forces de type néo-populiste qui ont eu le vent en poupe depuis quelques années électoralement. Ce déplacement architectonique de la manière dont se déterminent les choix électoraux a été encore renforcé par l’actualité récente au Proche-Orient, par le terrorisme ou par la crise des migrants en Europe.

C’est pourquoi continuer à gauche de raisonner dans une perspective économiciste traditionnelle - où c’est le programme économique que l’on propose qui déterminerait l’essentiel du comportement électoral - ne peut conduire qu’à des désillusions. Qu’il s’agisse d’ailleurs de réformisme social-libéral libre-échangiste ou de protectionnisme régulationniste néo-keynésien. Si la gauche française devait se réorganiser suivant un tel clivage après son éventuelle défaite en 2017, elle irait au-devant de difficultés politiques et électorales durables.

Dans un contexte où le FN détient un quart des électeurs (sic) [1], les institutions de la 5e République, notamment la centralité de l’élection présidentielle, permettent-elles de laisser un espace suffisant pour que deux gauches cohabitent en même temps ?

Le FN représente aujourd’hui entre 20 et 25% de l’électorat si l’on en croit les dernières élections. On verra, avec une forte participation, si c’est le cas à la présidentielle et aux législatives qui suivront. Mais il est clair que c’est un fait majeur et un phénomène inédit dans la vie politique française. Et que cela pèse de tout son poids sur l’ensemble du paysage, jusqu’à la gauche de celui-ci.

Si, dans de telles conditions, avec une extrême-droite et une droite relativement unies et solides, deux ou plusieurs gauches cohabitent sans pouvoir s’unir électoralement, il est fort probable que ces gauches restent éloignées de toute forme de pouvoir. À moins, pour la version la plus sociale-libérale de celle-ci, d’accepter de s’allier avec la droite par exemple sur un programme « centriste » à l’allemande.

Une telle division à gauche sera d’autant plus forte qu’elle se fera autour du clivage économique et social comme on l’a dit plus haut. En revanche, si la division se faisait autour de la question de l’identité, du républicanisme contre le communautarisme par exemple, il serait sans doute plus aisé de reconstituer une gauche à la fois plus solide, plus large et capable d’attirer à elle des électeurs déboussolés. Les enjeux économiques et sociaux ne disparaîtraient pas pour autant, ils seraient intégrés comme discussion programmatique au sein de cette gauche républicaine et feraient l’objet d’un possible compromis de gouvernement, comme ce fut le cas à plusieurs reprises dans le passé. Resterait en dehors de ce compromis, une partie très minoritaire de la gauche, celle qui rejette l’esprit républicain, qui nie la laïcité comme ciment du pacte social et qui refuse, de manière générale, toute verticalité régalienne dans l’action politique. La gauche pourrait alors redevenir la gauche en se débarrassant de ses démons gauchistes, et redevenir aussi attractive pour une majorité de nos concitoyens qu’efficace pour le pays."

Lire "Laurent Bouvet : la gauche peut-elle encore se débarrasser de ses démons gauchistes ?.

[1Note du CLR.



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