Revue de presse

K. Daoud : "Le Maghreb sera-t-il sauvé par ses femmes ?" (Le Point, 4 nov. 21)

Kamel Daoud, écrivain, journaliste. 8 novembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"Elles sont maires, ministre des Finances, ministre des Affaires étrangères, conseillères de premiers cercles… Où ? Au Maroc, en Libye, en Tunisie… Là où l’islamisme a voilé, cadenassé, culpabilisé les femmes jusqu’à en faire des choses à cacher. Des pays où le machisme et le patriarcat ont été réarmés par la misère et le repli identitaire, et où les rêves de libération post-colonisation n’ont pas inventé des libertés mais d’autres soumissions.

Pourtant, le Maghreb, sauf l’exception algérienne, se féminise, même s’il s’agit d’un artifice pour cacher une condition féminine toujours désastreuse. Depuis peu, on y élit ou on nomme des femmes pour sauver des pays qui restent la propriété des hommes. « C’est parce que les électeurs ont compris : les islamistes sont aussi voleurs que les nationalistes et les hyperconservateurs », m’explique une amie, écrivaine à la renommée mondiale, au sujet des élections au Maroc. Une réponse, même insuffisante, aux incompétences escamotées par la barbe, la moustache, le drapeau ou le tapis de prière. « Les Maghrébins se disent peut-être qu’en matière de gestion des affaires publiques mieux vaut une femme qu’un homme qui, jusqu’à présent, n’a servi que son machisme et ses échecs. »

Jouir du paradis. Au Maghreb, la représentation de la femme s’auréole encore du cliché rassurant de l’être du sacrifice, de la primauté du filial sur l’ego, du sens de l’épargne, de la préservation de la prédation masculine. Et là où les hommes se réclament, jambes écartées et torse bombé, du passé ancestral et mythifié, les femmes restent les tutrices de l’avenir malgré le déni. Après les ferveurs décoloniales et les illusions islamistes, on croit peut-être que la femme maghrébine ne peut pas, elle, voler ses propres enfants. On se souviendra, au moment de choisir son bulletin ou son équipe, que la femme enfante alors que les hommes maghrébins sont stériles et croient que leur génération suffit à mériter l’immortalité par l’infanticide. Les femmes, croit-on peut-être, veulent nourrir, éduquer, raconter des histoires mais aussi faire éclore les ambitions ; les hommes, moins. Nos maisons ne sont-elles pas propres alors que nos pays sont sales ? Autant, dès lors, donner nos pays à nos femmes. Nous, hommes, ne savons rien faire de nos récoltes, ni prévoir ni prévenir ? Autant offrir le pouvoir à nos femmes pour nous prémunir contre la faim et la pauvreté. Le ciel musulman, avec ses femmes belles et esclaves, est conçu pour les hommes ? Autant céder la terre aux femmes, pour espérer jouir du paradis avant la mort. Elles connaissent le coût de l’indépendance, arrachent chaque joie et chaque bouffée d’air à ceux qui se disputent la propriété de leur corps ? Autant confier aux femmes la définition de nos libertés, ainsi pourrons-nous les imaginer autrement qu’avec des armes à feu et des épopées, déjà fantasmées, de décolonisation. Autant donner, maintenant, le Maghreb aux femmes, avant que ces pays ne se vident, ne s’effondrent définitivement, ne régressent vers le néant enturbanné.

Souvent, on demande au chroniqueur, lors de rencontres en Occident, ce qui pourrait sauver les pays dits arabes de l’islamisme, de la vassalisation turque, du néonationalisme chauvin, des racismes confessionnaux et d’autres misères culturelles et sexuelles. Réponse : proposer, malgré nous, le pouvoir aux femmes. C’est un contrepoids aux modèles en cours, qui n’offrent pas de définitions claires du bonheur. D’ailleurs, songeur, on peut s’imaginer quelles religions de fécondité, de filiations si peu belliqueuses auraient été les monothéismes s’ils avaient été inventés par des femmes."

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