Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République. 1er décembre 2021
Que faut-il retenir des Journées laïques de Ferney Voltaire, organisées dans le cadre d’un partenariat entre la mairie et le Comité Laïcité République ?
Sans doute, et en premier lieu, la forte détermination du maire, Daniel Raphoz, et de son équipe municipale, à faire de la laïcité et des principes républicains le référentiel majeur de son action.
Cette détermination, dans un contexte d’éloignement des citoyens de la chose publique, mérite d’être soulignée. Ne pas renoncer pour ne pas laisser le terrain aux discours populistes et aux attaques de plus en plus vives subies par la raison et l’universalisme, telle nous est apparue sa ligne de conduite.
Guy Konopnicki, journaliste à Marianne, défenseur acharné de la liberté d’expression, a introduit nos rencontres, à la veille des tables rondes, dans le cadre d’un débat tournant autour des nouveaux « interdits » notamment développés autour de l’idéologie « woke » et la cancel culture. Les échanges furent vifs, comme on pouvait s’y attendre, comme nous l’espérions.
Dans le cadre de la thématique choisie, « Éloge contemporain de la raison », deux tables rondes furent organisées le lendemain.
Stéphanie Roza, chargée de recherches au CNRS, spécialiste des Lumières et de la Révolution française, reprenant le thème développé dans son ouvrage La gauche contre les lumières ? a établi le constat du renoncement d’une partie de la gauche à l’héritage de la Révolution. La lente, mais inéluctable, évolution de ce mouvement de contestation a donné naissance à cette gauche racialiste, tellement éloignée de l’idéal des Lumières.
Laurent Dubreuil, philosophe et actuellement full professor à l’université Cornell, fort de sa connaissance des campus universitaires américains, où il exerce depuis de nombreuses années, et de ses recherches sur la dictature des identités (titre de son dernier ouvrage), nous a permis d’entrevoir les risques d’une défaite de nos valeurs républicaines, ceux d’une société communautarisée à l’extrême, composée d’individus réduits à l’expression la plus pauvre de leur être. Ce mouvement, que nous pensions éloigné de notre République, gagne du terrain et trouve des alliés déterminés dans la presse, dans nos universités, au sein de nos organisations politiques.
Cette lecture fut éclairante pour l’analyse que nous faisons des ambitions de l’islam politique, qui réduit l’être humain à sa seule appartenance à la communauté des croyants, porteur de symboles identitaires comme le voile, et ouvrant la voie à cette aberration qu’est le féminisme islamique, mélange surprenant d’une aspiration à l’émancipation et du signifiant de la soumission.
Nathalie Heinich, sociologue, dans le cadre de la table ronde consacrée à la raison face aux croyances, a analysé les fonctions de la croyance religieuse, révélant que l’aspiration à une dimension spirituelle de l’être humain n’avait point besoin du support religieux, et inscrivant la revendication identitaire islamiste dans le cadre de la fonction communautaire.
Témoin privilégié des évolutions de notre école, Alain Seksig, aujourd’hui secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale, a conclu ces journées par un rappel historique éclairant pour comprendre les évolutions d’une école aujourd’hui malmenée et menacée dans sa fonction de transmission des valeurs républicaines.
Concluons par ce moment qui inaugura ces journées, et qui révèle probablement l’ampleur du chemin qui reste à parcourir pour effacer les dégâts causés par notre aveuglement et notre déni : la rencontre avec les lycéens et les étudiants en BTS organisée par son proviseur au Lycée international de Ferney Voltaire.
« Respect de la religion d’autrui, liberté individuelle, laïcité-ennemi-des-religions, ostracisation de l’islam et des musulmans… » furent sans surprise les arguments évoqués par les jeunes participants, Ces objections, par ailleurs portées par les tenants du communautarisme et les inventeurs de l’islamophobie, n’ont cependant ici jamais été formulées sur le ton de la revendication, simplement comme des arguments naturels et de bon sens.
Sans doute la République a-t-elle trop longtemps négligé de transmettre ses principes et valeurs à ses propres enfants et de faire en sorte qu’ils en soient fiers à leur tour.
Les réponses de Nathalie Heinich et d’Alain Seksig furent pédagogiques, argumentées, simples et bien référencées. Nous en sommes sortis avec le sentiment du devoir accompli autant qu’avec la certitude que beaucoup reste à faire.
Gilbert Abergel
Voir aussi 26-27 nov. 21 Ferney-Voltaire. « Les rencontres de la laïcité » (Ferney-Voltaire, 26-27 nov. 21) (note du CLR).
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