Ancien ministre, président d’honneur du MRC. 17 mars 2015
Les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris comportent une leçon essentielle : ils illustrent a contrario la pertinence de l’idéal laïc pour nous aider à relever le défi.
I - La laïcité n’est pas tournée contre les religions.
Définition de la laïcité : c’est la croyance en la raison naturelle et en la capacité des citoyens (formés par l’Ecole de la République) à s’entendre sur une idée du bien commun (« Res Publica »), dans un espace public soustrait à l’empire des dogmes.
La laïcité n’est pas tournée contre les religions ; il y a une déontologie de l’Ecole laïque qu’on trouve dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs. Ne pas confondre laïcité à l’Ecole et liberté d’expression dans l’espace public. La seule limite à cette liberté c’est le refus de l’appel à la haine. Mais un professeur de dessin, à l’Ecole publique, ne peut caricaturer Mahomet.
Manifestation du 11 janvier 2015 :
Ce que signifie « Je suis Charlie » : je n’admets pas qu’on porte atteinte à la liberté d’expression » et non « Je suis sur la ligne éditoriale de Charlie ». Encore moins « Je suis contre l’Islam ».
Les premières victimes du terrorisme sont les musulmans. Il ne m’appartient pas de dire ce qu’est l’Islam. Il y a de multiples interprétations. L’Islam n’est pas plus incompatible avec la laïcité que ne l’était le catholicisme. Dans leur immense majorité, les musulmans de France y voient une religion de paix et de miséricorde. Le Coran comporte très souvent un appel à la rationalité. Il incite à aller « chercher le savoir jusqu’en Chine ».
II - Le terrorisme djihadiste est un défi que la République peut relever avec sang froid, sérénité et sur la base de ses principes.
Ce défi du terrorisme djihadiste se situe à l’intersection des tensions qui traversent notre société et des conflits qui frappent le monde arabo-musulman.
1. En préalable, ai-je besoin de préciser mon refus de la « culture de l’excuse » ?
Il y a des pauvres honnêtes et des riches malhonnêtes. Amedy Coulibaly n’était pas un enfant abandonné de la République. Rien ne légitime le passage à l’acte terroriste. La loi républicaine s’applique à tous (la loi et l’esprit de la loi). Je prendrai l’exemple de la prohibition des signes religieux ostentatoires à l’Ecole. Faut-il l’étendre à l’enseignement supérieur ? On sait ce que signifie le voile : le choix de l’enfermement communautariste. Qu’il soit porté par des adultes de plus de 18 ans ne change rien à l’affaire. Au contraire. Une disposition de loi sur les signes religieux ostentatoires à l’Université ne me gêne pas. Ce n’est pas une démarche ethnocentriste mais l’application du principe de laïcité dans l’espace de la formation de l’esprit. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe vient d’autoriser le port du voile par des enseignantes à l’Université. Laissons à la démocratie allemande le soin de faire en sorte que cette jurisprudence soit réformée. En France le Conseil d’Etat aussi a pu errer en 1989.
Les Français – je le crois – acceptent les étrangers qui acceptent de faire leur les valeurs et les lois de la République. Ce n’est pas un effort insurmontable.
2. Il faut assécher le terreau où cette idéologie terroriste mortifère plonge ses racines.
a) la fracture sociale ; le gouffre du chômage ; l’idéal laïc ne peut que combattre l’intégrisme « ordo-libéral » qui enferme l’Europe dans une stagnation économique à perte de vue.
b) Les conflits qui frappent le monde arabo-musulman.
Un peu de culture historique : les deux réponses du monde musulman au défi de l’Occident ont été :
· la guerre des Six jours signe la défaite du nationalisme arabe (1967)
· l’échec ultérieur du processus de paix entre Israël et la Palestine est une blessure jamais refermée.
· le basculement du centre de gravité du monde arabe vers le Golfe résulte des chocs pétroliers (1973-79).
· le wahhabisme, le salafisme deviennent « hégémoniques »
Les ingérences occidentales :
S’ensuit le conflit chiites-sunnites (2005 : assassinat d’Hariri). Daesh fait main basse sur la partie sunnite de l’Irak.
Les révolutions arabes débouchent sur une vague islamiste en Tunisie, en Egypte par la voie des urnes. En Syrie aussi, à travers une féroce guerre civile.
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Comment faire face ? Retrouver une utopie de progrès partagée ; le binôme France-Algérie peut être structurant pour l’avenir. Il faut saluer les efforts accomplis à partir du voyage de François Hollande à Alger en décembre 2012.
Le legs diplomatique des Anglo-saxons dans la politique menée vis-à-vis de l’Orient musulman :
N’y a-t-il pas une autre manière, républicaine, d’affronter le défi ?
III – L’enjeu : la crise de la démocratie.
Trois crises se télescopent :
· La crise du monde arabo-musulman
· Celle du capitalisme financier mondialisé. Une économie casino dominée par les gestionnaires de fonds où les préoccupations du court terme ont relégué à l’arrière plan le souci du long terme. Parallèlement a triomphé l’hyper-individualisme libéral qui dissout la République.
· La crise d’une Europe hors sol, pensée en dehors des nations et de la démocratie. Cette conception d’une Europe « substitut » aux nations culmine dans le choix d’une monnaie unique. La crise de la monnaie unique fait ressortir le caractère technocratique des institutions européennes actuelles.
Nous sommes confrontés à une immense crise de la démocratie.
· L’idéologie dite des « droits de l’homme » (de l’individu seul « sujet de droit ») aboutit à la dissolution du « commun », c’est-à-dire de la politique et des conditions mêmes d’exercice de la démocratie.
· La pseudo souveraineté de l’individu aboutit à la dissolution du Peuple (des citoyens « en corps »), de la forme politique de l’Etat-nation, soit au nom de la « gouvernance » (européenne ou mondiale), soit au nom du « droit », voire du « devoir d’ingérence », dans l’ordre international.
· Nous assistons au naufrage de la démocratie comme idéal de maîtrise collective et réfléchie de l’Histoire au nom d’une croyance anhistorique dans l’efficience des marchés.
La crise de la démocratie est plus sensible encore dans une République laïque comme la nôtre. Le triomphe d’idéologies obscurantistes résulte de l’abandon ou de la méconnaissance de la laïcité comme condition de validité de la formation d’une volonté générale, d’un bien commun à tous les hommes.
C’est cette idée d’un bien commun qu’il faut relever. J’ai dit « un bien commun à tous les hommes » et non à une partie des hommes, par exemple à l’Occident. Il faut rejeter l’occidentalisme et penser un avenir de progrès pour tous, y compris le monde arabo-musulman qu’il faut réconcilier avec la modernité (Palestine, Iran). Mais cette modernité, avons-nous su la rendre aimable ? Poser la question c’est y répondre : la modernité du capital financier mondialisé suscite partout un immense rejet. C’est une autre modernité qu’il faut faire aimer.
IV – Il faut faire aimer la République
La République porte des valeurs universelles, même si elle s’appuie sur des nations. La nation est l’espace privilégié de la démocratie et la brique de base de l’internationalisme.
Faut-il rappeler l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Naturellement la Nation procède de la France. C’est au moment où celle-ci est devenue adulte qu’elle s’est proclamée souveraine. Ce renversement de principe aboutit, trois ans après, à la proclamation de la République. Il y a donc à la fois une césure et un continuum que les fondateurs de l’Ecole publique ont su mettre en scène.
Si j’explicite ainsi le lien qui unit la République à la France, c’est pour mieux mettre en valeur les conditions du rétablissement de la République.
1. On ne peut pas aimer la République quand on n ‘aime pas sa langue et son Histoire. Comme ancien ministre de l’Education Nationale, j’observe :
· l’abandon de l’étude des grandes œuvres dans l’enseignement ;
· la disparition de fait, dans les programmes, de l’Histoire de France.
Or, un pays qui ne s’aime plus ne peut agréger de nouveaux citoyens
· il faut faire aimer la France à travers sa littérature et le patrimoine des grandes œuvres
· à travers son Histoire : le peuple qui a fait la Révolution française doit renouer avec un récit national non pénitentiel s’agissant de notre histoire au XIXe et XXe siècles. Il faut mettre en valeur non pas ceux qui ont failli mais ceux qui n’ont pas failli.
2. Il faut aussi expliquer la République et la laïcité, redonner sens au combat républicain – inséparable du combat pour la justice -, en France et dans le monde. Ce qui unit doit être plus fort que ce qui divise. Relever l’Ecole de la République n’est pas possible si on ne relève pas la République elle-même. Hannah Arendt disait : « On n’enseigne que cela à quoi on croît ». Ce n’est pas seulement l’affaire du ministère de l’Education nationale. L’enjeu, c’est la parole publique en tous domaines.
Que croyons-nous ?
Non pas contre – certes il le faut, contre le Front National bien sûr – mais en positif : comment voyons-nous l’avenir de notre société ? Et l’avenir du monde ? De quel projet sommes-nous porteurs ? La laïcité est un combat. C’est celui de la Raison qu’il faut remettre à l’œuvre dans l’Histoire, après trois décennies d’obscurantisme consenti, une histoire qui sera inséparablement la nôtre et celle des autres peuples.
Enoncer ce défi est une manière d’en prendre la mesure. Comme dit l’adage « Il n’y a pas de cap pour qui ne connaît pas le port ». Ce cap c’est celui de la République et de la laïcité retrouvées !
Lire aussi Colloque du CLR « L’après-janvier : plus que jamais la République laïque » (Paris, 14 mars 15) (note du CLR).
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