Jean-Paul Scot : “La religion serait-elle devenue la garante de l’ordre social ?” (L’Humanité, 19 jan. 08)

22 janvier 2008

"L’historien Jean-Paul Scot (*) décortique les discours du chef de l’État. Il décèle une remise en cause non seulement de la laïcité mais aussi de la République.

Comment expliquez-vous le retour du religieux dans les hautes instances de l’État ?

Jean-Paul Scot. Un dominicain conseiller de Sarkozy l’avoue très clairement : « Ce n’est pas l’ultralibéralisme qui va remplacer le communisme des lendemains qui chantent. Il faut bien que quelque chose tire les gens vers un projet, un rêve, qui leur permette de dépasser les soucis du quotidien ... » Sous prétexte d’un hypothétique « retour du religieux », démenti par toutes les études sociologiques en Europe, de la crise des grandes idéologies et de la remise en cause de la raison et de la science, les néoconservateurs partout dans le monde prônent la reconnaissance officielle du rôle positif des religions dans l’enseignement, la morale, la culture, l’assistance et même la vie politique. Tout cela au nom de l’ultramodernité ! Nicolas Sarkozy entend aligner la France sur les États européens qui accordent aux Églises un rôle officiel de « partenaires » de l’État et remettre ainsi en cause la séparation des Églises et de l’État. Le président propose d’ailleurs de faire rentrer les forces religieuses au Conseil économique et social.

En quoi les propos de Nicolas Sarkozy portent-ils atteinte au principe de laïcité ?

Jean-Paul Scot. Dès son discours d’investiture, le 15 janvier 2007, le candidat Sarkozy disait vouloir « moderniser la laïcité ». « La laïcité à laquelle je crois, c’est le respect de toutes les religions, ce n’est pas le combat contre la religion. » Trois remarques. Premièrement, l’hostilité à la religion a toujours été un courant minoritaire parmi les laïques car les pères de la laïcité l’ont fondée sur les principes de la liberté de conscience et de l’égalité de droit et de dignité de toutes les options religieuses ou philosophiques, agnostiques ou athées. Deuxièmement, Jaurès et Buisson, les pères de la loi de 1905, ont affirmé que l’État laïque devait être neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés et dégagé de toute emprise religieuse et théologique. Le général de Gaulle lui-même déclara aux évêques en 1958 : « Vous dites que la France est catholique, mais la République est laïque. » Et, troisièmement, même si, aujourd’hui, Sarkozy dit que la « laïcité, c’est le respect de toutes les croyances », il déclare aussi vouloir « prendre en compte les attentes des grandes religions » car « la vie spirituelle constitue le support d’engagements humains que la République ne peut pas offrir, elle qui ignore le bien ou le mal. (...) La religion peut apporter cette distinction ». La République n’aurait donc pas de principes communs à tous les citoyens ! La religion serait donc le fondement de la morale et la garantie de l’ordre social ! En instrumentalisant les religions à des fins politiques, Sarkozy remet en cause non seulement la laïcité, mais aussi la Constitution et la République.

Rappeler les racines chrétiennes de la France, est-ce une façon de nier les autres identités de la France ?

Jean-Paul Scot. Le « retour aux racines » a toujours caractérisé dans l’histoire des mouvements réactionnaires et nationalistes incapables de susciter des politiques généreuses fondées sur des principes d’émancipation et de justice pour tous. L’histoire montre bien que c’est par la critique des valeurs chrétiennes, de la foi, de l’espérance et de la charité que la Révolution a proclamé les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Sarkozy tente donc une impossible synthèse entre les valeurs d’Ancien Régime monarchique et celles de la République démocratique. Enfin, l’identité de la France n’est pas un héritage du passé ; elle est une construction permanente à laquelle ont contribué et contribuent tous ceux qui, par leur sang, la sueur de leur travail et la générosité de leur création ont fait de la France une référence pour tous les êtres épris de liberté et de justice sociale. Rappelons à Sarkozy la déclaration d’un évêque italien : « Mieux vaut être un bon chrétien sans le dire que le dire sans l’être. »

(*) Dernier ouvrage : l’État chez lui, l’Église chez elle. Comprendre la loi de 1905. Le Seuil 2005."

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