Revue de presse

Jean-Loup Amselle : « La discrimination positive est une escroquerie » (Coralie Delaume, marianne2.fr , 25 juin 12)

28 juin 2012

"D’une part, montent des revendications minoritaires, de la part de groupes qui s’estiment discriminés, opprimé, marginalisés : les « blacks », les « beurs », mais également toute la mouvance LGBT, et même, aujourd’hui, les handicapés.

Conjointement, nous assistons à un phénomène de captation de ces revendications par ce que j’appelle des « entrepreneurs d’ethnicité et de mémoire ». Ils parlent au nom de ces groupes qu’ils constituent eux-mêmes, et dont ils s’instituent en porte-parole, de façon à monopoliser à leur profit des revendications au départ peu formalisées et disséminées. [...]

De l’autre côté du spectre, existe la revendication de ce qu’on appelle les « Français de souche », revendication formatée par le Front national et/ou la Droite populaire – voire de l’UMP dans son ensemble, étant donné l’actuel phénomène de radicalisation de la droite.

Là aussi on tâche d’enfermer les individus dans une mono-identité « de souche », mais qui est reprise en symétrique par la gauche multiculturelle et post-coloniale. Il n’est qu’à voir l’exemple paradigmatique des Indigènes de la République, qui utilisent de manière frappante le terme « souchien », soit l’exact pendant de « Français de souche ».

Finalement, entre ces deux tendances, on assiste à une sorte de backlash, d’effet en retour : à mesure que ces identités minoritaires se durcissent, de l’autre côté s’établit aussi un durcissement de l’identité blanche et catholique. [...]

Ce discrédit du marxisme a permis, dans la conjoncture post-soixante-huitarde, post-moderne, post-coloniale, de substituer, à une analyse en termes horizontaux et de classes, une façon de découper la société en tranches fragmentaires, ce que j’appelle les « entailles verticales ». Cette thématique des « fragments », de la multitude, a été notamment formalisée par Toni Negri, mais aussi par tout le courant appelé « French Theory ».

Ces identités verticales (black, beur, LGBT) sont vécues comme plus « glamour » que les identités horizontales de classe. Il suffit de lire un journal comme Libération, qui est tout à fait emblématique. Ce quotidien a complètement déserté le social, pour se consacrer au sociétal. Il ne se passe pas un jour sans qu’il promeuve quelque « minorité ».

Au plan politique, ces thématiques sont essentiellement reprises par Terra Nova, qui prône un abandon des classes ouvrières, lesquelles auraient disparu ou seraient définitivement passées au FN. Cette gauche « ethno-éco-bobo » leur préfèrera donc les couche urbaines, les jeunes, les minorités, etc. [...]

Pour ma part, je pense que la « discrimination positive », cette transcription française et incertaine de « l’affirmative action » américaine, est une escroquerie. Ce qui est fondamental à l’échelle mondiale et spécialement dans les pays développés, c’est l’accroissement des inégalités. Les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, et la « classe moyenne » se rétrécit comme une peau de chagrin. [...] Les discriminations sont loin d’être un phénomène négligeable, mais j’y vois pour ma part un phénomène second, que l’on se plait à mettre en avant pour masquer les inégalités de revenus croissantes au sein des pays développés. La discrimination positive, qui vise à contrebalancer les discriminations, est d’ailleurs parfaitement compatible avec l’économie libérale. D’ailleurs, cela va de pair avec la montée des phénomènes de marketing ethnique. On le sait, le marché ne s’adresse pas à des individus atomisés mais à des catégories de clientèles. Les entreprises savent très bien qu’il faut segmenter le marché. Ainsi ont-elles créé un marché de cosmétiques en directions des blacks, un marché du hallal en direction des musulmans, un marché en direction des gays, etc."

Lire « La discrimination positive est une escroquerie ».


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