Revue de presse

Jean-Claude Michéa : « Jacques Julliard manquera à tous les amis de la liberté d’expression » (Le Figaro, 11 sept. 23)

(Le Figaro, 11 sept. 23). Jean-Claude Michéa, philosophe. 11 septembre 2023

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"[...] Si nous éprouvions tous les deux la même admiration pour Orwell et Camus et la même nostalgie pour la vieille tradition anarcho-syndicaliste, nous n’en tirions que rarement les mêmes conclusions politiques. Mais l’essentiel est bien sûr ailleurs. Jacques appartenait clairement, en effet, à cette catégorie d’intellectuels – aujourd’hui en voie d’extinction accélérée - qui n’hésitait jamais à débattre de tout avec n’importe qui, même (et peut-être surtout) lorsqu’il s’agissait d’un adversaire très éloigné de ses propres positions politiques (en quoi il restait profondément fidèle à cette maxime de Rosa Luxemburg, bien oubliée par la gauche moderne, selon laquelle « la liberté c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement »). Pourvu, naturellement, que ce soit toujours, de part et d’autre, dans le respect des exigences minimales de la conversation rationnelle et démocratique.

Jacques appartenait à cette race de libéraux et de socialistes à l’ancienne, pour lesquels l’exercice de la pensée critique était encore tout à fait distinct de ce « désir secret de tenir le fouet ».

On me dira que c’est la moindre des choses ! Le problème c’est que c’est justement ce genre d’attitude, autrefois courante, que la présente américanisation de nos mœurs intellectuelles et les progrès exponentiels correspondants de la sinistre cancel culture rendent de nos jours de moins en moins en moins compréhensible et acceptable. Je me souviens par exemple d’un des derniers textes de Jacques dans lequel il s’étonnait qu’un nombre croissant de ses amis de gauche lui reprochent d’écrire aussi dans la presse de droite. À quoi il répondait, avec son humour habituel, que la seule chose qu’on aurait pu éventuellement lui reprocher, c’était évidemment « d’écrire quelque chose de faux dans la presse de droite » ! Comme on le voit, Jacques appartenait à cette race de libéraux et de socialistes à l’ancienne (il naviguait d’ailleurs sans cesse entre les deux courants !) pour lesquels l’exercice de la pensée critique était encore tout à fait distinct, selon la célèbre formule d’Orwell, de ce « désir secret de tenir le fouet », qui est devenu de nos jours la chose du monde la mieux partagée dans les nouveaux milieux « intellectuels ».

Ce n’est pas seulement l’incroyable érudition et l’inaltérable bienveillance de Jacques qui va donc me manquer à partir d’aujourd’hui. C’est aussi la présence de celui qui savait encore maintenir intactes les conditions d’une pensée libre. Autant dire qu’il devrait également manquer à tous les amis de cette liberté d’expression, aujourd’hui si mal en point."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Jacques Julliard (note de la rédaction CLR).


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