Alexandre Dézé, maître de conférences en science politique et chercheur au Centre d’études politiques et sociales à l’université de Montpellier, enseignant à Sciences Po Paris. 6 avril 2022
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Alexandre Dézé, 10 Leçons sur les sondages politiques, éd. De Boeck supérieur, jan. 22, 144 p., 12,90 €.
"Le politologue Alexandre Dézé publie un réquisitoire contre les enquêtes d’opinion politique. Dans un entretien au « Monde », il estime qu’elles sont peu fiables et orientent le débat public.
Propos recueillis par Abel Mestre
"Alexandre Dézé est maître de conférences en science politique à l’université de Montpellier, chercheur au Centre d’études politiques et sociales du même établissement et enseignant à Sciences Po Paris. Dans son ouvrage, 10 Leçons sur les sondages politiques (De Boeck supérieur, 144 pages, 12,90 euros), il plaide pour une diminution drastique des enquêtes d’opinion politiques.
Quels reproches faites-vous aux sondages politiques ?
Le principal est l’importance inédite qu’on leur accorde. A-t-on besoin de près 600 enquêtes pour couvrir un scrutin présidentiel, comme ce fut le cas en 2017 ? Cette surabondance est un problème. On peut aussi se poser la question de leur rôle dans la sélection des candidats, d’autant plus dans une situation où les partis politiques sont affaiblis. Jamais il n’y a eu autant de sondages alors qu’il y a de véritables faiblesses dans leur fabrication, et que l’opacité règne.
Ces enquêtes peuvent-elles, tout de même, se révéler utiles comme outils d’analyse d’une situation politique ?
Je n’en suis pas certain. A tous les étages du processus, on peut repérer des problèmes qui laissent planer le plus grand doute sur leur fiabilité. Les sondages réalisés à six mois d’une présidentielle, par exemple, sont corrects dans un cas sur huit. A quoi servent-ils ? Ils alimentent un débat politique à propos de rapports de force virtuels. On teste des candidats non déclarés, on oblige les répondants à des exercices intellectuels complexes où ils doivent imaginer plusieurs scénarios différents. Cela présuppose aussi une connaissance minimale des candidats et de la politique, ce que n’ont pas tous les répondants. Par ailleurs, il y a un problème avec les échantillons en ligne de volontaires autorecrutés.
C’est-à-dire ?
On est loin des prérequis d’un échantillonnage classique. Un sondage représentatif, c’est-à-dire sans biais, est un sondage aléatoire où l’on tire les gens au sort. Mais, plus largement, tout est problématique dans la production de ces enquêtes : de la constitution des échantillons, jusqu’à la formulation des questions, en passant par le redressement des résultats bruts. L’idéal serait de réduire le nombre de sondages politiques et d’augmenter leur qualité. Car, quand un sondage est bien fait, cela génère des connaissances précieuses.
Si l’on ne se focalise pas uniquement sur les intentions de vote, les sondages peuvent aussi servir à déconstruire des éléments de langage de certains partis. Par exemple, on voit que les principales préoccupations des Français sont le pouvoir d’achat, l’épidémie de Covid ou la santé, devant la sécurité et l’immigration…
Sans doute, mais en général, les questions posées ne sont pas celles des gens, mais plutôt celles que se posent les commanditaires des enquêtes. Il faudrait des questions ouvertes pour déterminer les préoccupations réelles. Les enquêtes génèrent ainsi des résultats « artefactuels », c’est-à-dire artificiels, en faisant croire que leurs résultats sont l’émanation directe de « l’opinion publique ». Mais, en fait, on ne laisse pas les gens répondre ce qu’ils veulent, du moins quand ils répondent.
L’une des critiques que vous adressez aux sondages est qu’ils fabriquent l’opinion publique et peuvent même créer des situations politiques factices. Certains candidats ne le seraient pas sans ces enquêtes d’opinion ? Par exemple, Eric Zemmour. Est-il un produit sondagier ?
Eric Zemmour part avec un capital médiatique qui n’est pas négligeable. Mais on voit qu’une part importante de sa candidature a été construite médiatiquement et sondagièrement. La bulle spéculative qui s’est emparée des sondages à l’automne 2021 a créé des effets d’accréditation et de qualification de sa candidature. Certains instituts lui accordaient alors presque 19 % d’intentions de vote et en faisaient un candidat potentiellement présent au second tour… Pour une personne qui n’a jamais fait de politique, et qui n’était même pas encore candidat, cela fait beaucoup.
La commission des sondages existe et régule la pratique. Est-elle efficace ?
C’est une autorité qui a peu de pouvoir, composée d’individus qui, pour la plupart, ne sont pas spécialistes des sondages. Elle existe depuis 1977 et, à ma connaissance, elle n’a jamais prononcé de sanction. Cela pose question vu le nombre de sondages politiques problématiques. La commission devrait, par exemple, lancer une enquête sur les access panels [des internautes ayant accepté d’être interrogés et qui le seront à plusieurs reprises]. Au début des années 2010, Hugues Portelli [ancien sénateur Les Républicains du Val-d’Oise] et Jean-Pierre Sueur [sénateur socialiste du Loiret] ont tenté de faire passer une loi pour davantage de transparence. Le projet a été adopté au Sénat à l’unanimité mais il a fallu attendre 2016 pour qu’il le soit à l’Assemblée. La législation reste encore trop lâche et le contrôle de la commission peu contraignant pour les instituts.
Comment les instituts peuvent-ils agir pour établir des études moins contestées ?
Il faudrait commencer par déshystériser la production et l’utilisation des sondages. Mais bon, l’industrie sondagière triomphe toujours de ses échecs, donc y a-t-elle intérêt ? Il ne faut pas oublier que ce sont des entreprises comme les autres dont le principal but est de générer des profits. Même si les enquêtes politiques ne rapportent pas grand-chose car elles représentent une part infime de leur chiffre d’affaires, cela leur offre une visibilité inespérée.
Abel Mestre"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Sondages (note du CLR).
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