Revue de presse

J.-P. Chevènement : « Je déplore l’évanescence du patriotisme français » (lepoint.fr , 15 août 20)

16 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Jean-Pierre Chevènement, Qui veut risquer sa vie la sauvera. Mémoires, éd Robert Laffont, sep. 20, 506 p., 22 e.

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"[...] La crise [du coronavirus] a mis en lumière nos profondes dépendances, et pas seulement dans le domaine sanitaire. Indépendance est pour moi un maître mot. Il s’agit de retrouver des marges de manœuvre, une capacité à s’orienter par soi-même, ce qui est au fondement même de la République. Cette crise nous invite à prendre nos distances par rapport à la règle de l’approvisionnement au plus bas coût possible, qui a prévalu tout au long de trois décennies de mondialisation débridée. Nous avons ainsi laissé notre pays se désindustrialiser, au prix de fractures sociales de plus en plus insupportables. Il faut remonter la pente.

Le souverainisme redevient à la mode… Vous devez en être content ?

Je n’aime pas employer ce mot, qui est source de confusion avec certaines expressions que je ne fais pas miennes. Je me dis simplement républicain. Je me garde des amalgames. Je suis pour la souveraineté nationale, intitulé du titre premier de la Constitution de 1958, parce qu’elle est la condition de la République. Je considère que les étrangers venus sur notre sol ont vocation à s’intégrer à la République. Ils ne doivent pas être rejetés a priori ; en même temps, la politique d’immigration dépend de la capacité d’intégration du pays d’accueil. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne.

[...] La reconquête de l’indépendance ne se fera pas sans ressourcement républicain. Nous sommes dans une société gravement fracturée, et de plus en plus violente. Cette France éclatée est menacée par la montée des communautarismes. Je m’inquiète pour la République, elle ne tient que par la force des idéaux de citoyenneté et de laïcité. Je déplore l’évanescence du patriotisme français sans lequel il ne peut y avoir de civisme ni de sens de l’État.

[...] Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, parle d’« ensauvagement » de la société, et tout le monde s’est alors souvenu du terme de « sauvageons » que vous aviez employé en 1999, à cette même place, et les polémiques qu’il avait suscitées…

L’expression « sauvageon » (en vieux français un arbre non greffé) pointait un défaut d’éducation. L’explosion de violences dans la société française dont parle monsieur Darmanin résulte de sa fracturation, d’autres diraient de son « archipélisation ». Y porter remède ne peut être de la seule responsabilité du ministre de l’Intérieur.

Comment avez-vous réagi quand vous avez vu la multiplication des déboulonnages de statues ?

L’histoire doit être écrite par les historiens. Déboulonner les statues de Jacques Cœur ou de Colbert est une atteinte grave à l’identité de la France. Jean-Marc Ayrault a découvert que Colbert n’était pas un personnage républicain, ni un grand parlementaire, alors qu’il a présidé le groupe socialiste à l’Assemblée pendant des années salle Colbert. Pendant tout ce temps-là, il n’a jamais demandé que l’on débaptise cette salle. Avant la République, la France s’est construite avec des hommes d’État comme Colbert qui a créé la Compagnie des Indes, fondé la manufacture des Gobelins, contribué à l’industrialisation de la France. Je n’essaye même pas d’expliquer que le Code noir était le premier essai de juridicisation des rapports entre les esclaves et leurs propriétaires, car l’esclavage est évidemment une abomination. Le mouvement indigéniste ou décolonial fraie la voie à l’apartheid et à l’extrême droite. Les Républicains doivent le combattre résolument. Contrairement à la lutte des classes qui a nourri le réformisme social, la lutte des races n’offre aucune perspective de progrès. Il ne faut pas céder à l’intimidation des partis décoloniaux, des réunions de « racisés » et autres manifestations de déconstruction du modèle républicain.

[...] Les municipales ont-elles marqué un réveil de la gauche ?

Au plan de la sensibilité peut-être, mais pas au plan idéologique. Le problème de la gauche est qu’elle ne veut pas faire l’autocritique de sa pratique depuis 1983, c’est-à-dire de son ralliement au néolibéralisme. Elle ne met pas en cause cette dérégulation généralisée de l’économie qui s’est faite au prétexte de l’Europe, mais qui lui a fait tourner le dos à ses valeurs fondatrices. Elle ne remet pas en cause la politique économique associée à la mondialisation qui a conduit à la désindustrialisation et à la dépendance productive et financière dans laquelle nous sommes. La gauche républicaine traditionnelle a capitulé au profit d’une sentimentalité mièvre qu’elle a en commun avec les écologistes. Au départ, les socialistes pensaient que les écologistes leur apporteraient un appoint électoral. Finalement, ceux-ci se sont hissés sur leurs épaules. La sensibilité écologiste a grignoté de l’intérieur la gauche républicaine traditionnelle. Et maintenant, nous voyons fleurir des exhortations à la décroissance, à la frugalité, à la sobriété, à travailler moins. Est-il sûr que ces recommandations conduiront à une société plus harmonieuse, plus équilibrée, plus heureuse ?

[...] Pour moi, aujourd’hui, le combat digne d’être mené, c’est celui qui vise à maintenir le modèle républicain à l’échelle nationale, mais aussi européenne et mondiale. La démocratie ne trouve guère son compte dans le fonctionnement des institutions européennes actuelles. Je suis pour une Europe à géométrie variable où les Parlements nationaux continuent de jouer leur rôle de contrôle des exécutifs, tant nationaux qu’européens. Et je suis pour une Europe indépendante face aux deux empires qui se disputent la domination du monde.

La laïcité est-elle encore une valeur de gauche ?

Ce n’est pas une valeur de gauche, c’est une valeur républicaine. La République est laïque comme il est mentionné dans la Constitution depuis 1946. L’actualité de la laïcité, c’est la réponse donnée à juste titre à des courants qui veulent rétablir le droit divin, qui, aujourd’hui, ne sont pas principalement des courants chrétiens, mais musulmans. Un vieux combat qui, en Europe, date de 1789 et reste moderne. À la gauche de porter cette lutte si elle veut rester fidèle à elle-même. Comme elle doit conserver l’héritage de la nation, cadre privilégié de la démocratie et de la solidarité. Pourquoi la gauche a-t-elle abandonné à Le Pen en 1984 la défense de la nation ? Pourquoi a-t-il fallu qu’en 1985 je rétablisse, en tant que ministre de l’Éducation, l’apprentissage de la Marseillaise sous les quolibets d’une partie de la gauche ? Nous sommes un pays pluriethnique, pluriconfessionnel, mais pas pluriculturel : il y a une culture française. [...]"

Lire « Nous sommes dans une société gravement fracturée, et de plus en plus violente ».


Voir aussi la rubrique "Antiracistes" racialistes (note du CLR).


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