Revue de presse

J.-P. Brighelli : "Crucifions les laïcards" (causeur.fr , 16 jan. 15)

"La diversité oui, la division non." 16 janvier 2015

"Ce n’est pas moi qui le dis : c’est un certain Médine (dis-moi quel pseudo tu adoptes, je te dirai qui tu es), qui dans un rap énervé, propose d’imposer la charia en France. Mains coupées comprises. Cet honnête barbu, qui agite très fort les siennes, et utilise son clip pour faire la propagande du voile, a tout pour faire plaisir au Café pédagogique.

Lequel, le jour même où deux islamistes flinguaient la rédaction de Charlie, interviewait avec complaisance les deux auteurs d’un énième livre plaidant pour une laïcité ouverte — comme les cuisses du même nom. Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise, et Geneviève Zoïa, anthropologue à l’Université de Montpellier, sortent La laïcité au risque de l’Autre (Ed. de l’Aube).
Selon elles, l’Ecole du « républicanisme laïc et égalitaire » s’est bâtie sur le « déni des allégeances particulières et comme topos fondateur de neutralisation des lieux et des milieux ». Elle est bien incapable de répondre aux « demandes croissantes de pluralité culturelles et cultuelles et les valeurs centrales de cohésion — certes hégémoniques — qui construisaient hier le contrat-citoyen moderne sur une culture intériorisée et inclusive, conforme en cela à la raison des Lumières, sont aujourd’hui invalidées dans une Ecole qui non seulement ne parvient pas à fabriquer du Commun mais altérise ».
Quand vous avez lu une phrase de cet acabit, vous avez l’impression d’être en apnée dans un grand fond. Mais bon, qui a dit que les sociologues savaient écrire ?

Et que proposent ces aimables dynamiteuses ? De « changer la grammaire sociale de l’Ecole ». Le CRAP, qui sait interpréter les métaphores sociologiques, demande aussitôt, benoîtement : « L’intégration passe par la reconnaissance des communautés ? » — ce qui permet à nos deux furies de se précipiter dans la brèche : Oui, « la laïcité aujourd’hui c’est la peur de l’Autre ! » — au moment même où Cabu, Wolinski et leurs copains se faisaient descendre par deux de ces « autres ».
Elle « contribue selon nous à racialiser les rapports sociaux, alors même qu’elle est saisie dans tous les discours au nom du contraire ». Bref, ce sont les laïques qui sont racistes, pas ceux qui croient que l’affirmation de la différence est au bout de la kalach ! Si, si : « La laïcité se transforme en instrument d’agression des minorités, principalement aujourd’hui vis-à-vis de la minorité musulmane qui concentre à elle seule l’idée d’une crise du modèle d’intégration française. » Heu, pour l’agression, ce jour-là, ce n’était pas franchement la laïcité qui était à la manœuvre.

Immondes salopards. Crevures. Au bal des enfoirés, vous ne serez pas les derniers.

Depuis une semaine, les fossoyeurs de la laïcité en ont remis une couche. Ce ne sont plus seulement quelques caricaturistes que l’on enterrera aujourd’hui, à Montparnasse ou ailleurs. C’est leur combat de trente ans. Dans L’Humanité, un certain Mohamed Mechmache Co-président de la coordination nationale « Pas sans nous » et porte-parole du collectif AC LE Feu (ça existe apparemment, et ledit coordonnateur guigne les places chaudes qu’on pourrait lui réserver dans le cadre d’un « grand débat » comme Najat sait les organiser) lance : « Quand on refuse des sorties scolaires aux mères de famille voilées, est-ce qu’on n’est pas en train de créer de la violence chez ces gamins, qui voient leurs parents exclus ? »

Le pire, c’est qu’on ne les refuse plus. C’est que les voiles s’étendent, comme des taches d’encre, ou des taches de sang sur les taches d’encre, sur l’ensemble de la laïcité, que l’on propose depuis deux ans d’aménager.
Le plus beau, c’est que la Droite, qui cherche à exister encore à l’ombre du FN, s’y met elle aussi. Benoist Apparu, qui est forcément compétent puisqu’il est député, dénonce dans L’Express le « totalitarisme laïcard » et déclare que « la loi de 1905 ne doit pas être une cathédrale intouchable ». Ah, certes, elle a plus de cent ans, il faut rafistoler la vieille dame, et l’adapter aux cultes actuels. Apparu adapterait sans doute aussi la Déclaration des Droits de l’homme, qui est une antiquité encore plus branlante. Enfoiré !

Le gouvernement a fait descendre dans la rue des foules immenses (suis-je le seul à trouver suspect que pour une fois, les chiffres de la police et ceux des manifestants soient bizarrement identiques ? Quelqu’un a-t-il la moindre idée du temps que prendrait à s’écouler 1,5 millions de personnes entre la République et la Nation ?). Il en profitera, dans les jours à venir, pour instaurer des lois sécuritaires que Christiane Taubira, bien sûr, se fera un plaisir d’appliquer. Mais surtout, il va nous convoquer une de ces commissions sur la laïcité qui dans ses conclusions déjà écrites dira qu’il faut ouvrir, ouvrir, ouvrir… M’étonnerait que l’on en arrive à ajouter Laïcité à la trinité républicaine, comme le demande avec émotion Perico Legasse. Non, on va faire plaisir à « Médine », et instaurer la Rap-ublique…

La vertu est une voie toujours plus rude que le délitement. L’Ecole a cessé d’intégrer à force de « compréhension », de « collège unique » et de « socle commun » — à force d’ambitions sans cesse revues à la baisse, d’ouverture vers les particularismes de tel ou tel groupe de pression, d’entrisme des parents d’élèves (la FCPE vocifère qu’il faut lui donner encore plus de champ à l’intérieur de l’Ecole) et d’acceptation de la ghettoïsation à l’intérieur même des classes : d’un côté les « Blacks » (qu’on ne le dise plus en français depuis presque vingt ans est un signe en soi d’abandon), de l’autre les Beurs, d’un côté les garçons, de l’autre les filles — de peur de se contaminer sans doute. C’est le communautarisme qui est raciste, pas la laïcité.

Les avertissements pourtant se sont succédé, comme je le rappelle par ailleurs. On n’en a jamais tenu compte, ni à droite, ni à gauche. Les considérations électoralistes, la paresse intellectuelle, les trahisons des clercs ont favorisé à la fois la mise à l’écart de populations que la République savait insérer dans le tissu national, et l’émergence de revendications identitaires inacceptables. Je me fiche pas mal que tel ou tel adore Allah ou Jéhovah. Qu’il soit bronzé ou pas. Qu’il habite ici ou là. Comme le dit fort bien ce Basque de Perico : « L’altérité doit être acceptée comme une diversité, non comme une division. » Je suis prof pour les amener, chacun, au plus haut de leurs capacités — et malgré eux s’il le faut.

Mais ces temps-ci, franchement, la tâche est dure. Je sais que j’aime me battre à un contre cent. Mais la masse des crétins s’épaissit de jour en jour. La vague monte. Elle monte. Elle va tout submerger.

Et c’est sur l’émotion de 17 assassinats au nom de l’Islam que ces imbéciles joueront pour aménager la laïcité jusqu’à ce qu’il n’en reste rien — et ils s’étonneront, la bouche en cœur, quand on crucifiera les laïcards, en disant « Mon Dieu, mais je n’ai pas voulu cela ! » Charb lui-même, dans une allocution prononcée devant le Comité Laïcité République [...], prévenait il y a peu : « J’ai moins peur des extrémis[m]es religieux que des laïques qui se taisent ». Ce même Charb qui avait illustré la couverture d’un livre plus que prémonitoire de Patrick Kessel, Ils ont volé la laïcité (Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2013) [1], qui constatait avec effarement que les trahisons conjointes de la Gauche et de la Droite avait laissé le champ laïque au FN — on croit rêver. C’était il y a deux ans, c’était il y a deux siècles.

Le diront-ils d’ailleurs ? À en croire Houellebecq, ils seront, comme son héros, en train de se convertir."

Lire "Crucifions les laïcards".


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