Revue de presse

J. Julliard : "No pasaran !" (Marianne, 17 fév. 17)

26 février 2017

"Je me suis réveillé l’autre jour avec un étrange sentiment, tel que je ne l’avais plus connu depuis ma petite enfance, sous l’occupation allemande : celui d’avoir perdu ma liberté de parole et de devoir faire attention à tout ce que je dirais en public. A y réfléchir de plus près, je m’avisai bien vite que cette impression du réveil était exagérée, et qu’en vérité cette mesure de précaution verbale ne s’appliquait qu’à un seul domaine, celui qui concerne l’islam. Je pourrais bien, pour autant que j’en aurais le désir, traîner dans la boue le président de la République, traiter de nazi celui des États-Unis, insulter le pape, cracher sur le Christ en croix, ricaner sur la virginité de Marie, et j’en passe. Il ne m’arriverait rien, sinon une réputation d’esprit fort.

Mais si d’aventure je me hasardais à dire un mot de travers d’Allah, de Mahomet, de l’islam, alors, malheur à moi ! Je serais en butte à la réprobation des réseaux dits "sociaux", à des tirades vengeresses dans Libération, à des pétitions de mes collègues "chercheurs", comme Kamel Daoud au moment même où une fatwa le menace de mort, Je serais tramé devant les tribunaux pour "islamophobie" et menacé d’être égorgé comme Salman Rushdie.

Voyez la campagne électorale en cours. La question islamiste en est le passager clandestin, toujours en filigrane, jamais en discussion. C’est comme au procès de Zola, pendant l’affaire Dreyfus : "La question ne sera pas posée." Quelle est donc cette question qui trouble si fort l’entendement de la classe politique régnante, qu’elle la contourne comme on contournait le sexe du temps de la reine Victoria, ou aujourd’hui encore l’argent à la table des riches ? C’est tout simplement celle de la nature de notre République. Demeurera-t-elle laïque, unitaire, universaliste comme elle l’a toujours été depuis sa fondation, combattant et bannissant le particularisme, le racisme, la bigoterie, le fanatisme ? Ou bien, sous prétexte de "s’ouvrir aux différences", basculera-t-elle dans le communautarisme, c’est-à-dire la coexistence sur un même territoire de groupements à base religieuse fondés sur des "valeurs" et des principes différents, étanches les uns aux autres et condamnant leurs membres à la "réclusion identitaire à perpétuité" (Mezri Haddad) ?

J’en étais là de mes réflexions quand j’ai ouvert le livre de Pascal Bruckner, Un racisme imaginaire : islamophobie et culpabilité (Grasset) que je venais de recevoir. Je ne l’ai pas quitté. Quand un essai combine avec bonheur les quatre qualités majeures que l’on attend de lui, l’information, la lucidité, le talent et le courage, c’est bien la moindre des choses.

Bruckner n’est pas seulement un authentique philosophe politique ; c’est un homme courageux qui vient de sortir vainqueur d’un inepte procès pour "islamophobie" que lui avaient intenté les habituels flics de la pensée libre, et si je lui consacre aujourd’hui mon éditorial, c’est que les positions qu’il défend sont celles-là mêmes pour lesquelles Marianne milite depuis sa création : et d’abord la laïcité, c’est -à-dire la conviction qu’une société ne peut survivre dans la paix que sur les valeurs qui unissent tous ses membres ; autrement dit sur l’unité fondamentale du genre humain et non sur son irréductible diversité. Voilà le véritable antiracisme !

Qu’est-ce donc que le racisme imaginaire que Pascal Bruckner taille en pièces ? Celui des islamistes qui entendent obliger la France à renoncer à son pacte fondamental, et prétendent lui faire croire qu’il est entaché de racisme, alors que c’est l’inverse. Aidés par ces intellectuels pervers qui récusent en général le passé comme principe national d’explication, mais qui n’en expliquent pas moins le terrorisme islamiste par le passé colonial de la France... Mais alors, comment expliquer Daech en Syrie, Boko Haram au Nigeria ?

En vérité, Bruckner montre très bien que, si la France est une des cibles préférées des intégristes de l’islam, ce n’est pas parce qu’elle opprime les musulmans, mais au contraire parce qu’elle les libère. Oui, la France, l’État français, la nation française ont le devoir de défendre l’individu musulman, et si l’on m’autorise ce solécisme, "l’individu musulmane" contre l’oppression que fait peser sur lui et sur elle une communauté elle-même soumise à l’intimidation et à la crainte. Une des pires aberrations des chasseurs de l’islamophobie imaginaire, c’est, sous prétexte d’antiracisme, de transformer la religion en race, la, culture en race, l’origine géographique ou ethnique en race. Et, pour finir, une interrogation. La "peste verte" (Bruckner) qui sévit en France ne se répandrait pas à une telle allure sans la complaisance habituelle des politiciens, qui d’ores et déjà spéculent sur le vote musulman, plus large par exemple que le vote juif. Mais surtout sans la complicité d’une partie de l’intelligentsia. Oui, pourquoi celle-ci est-elle à ce point lamentable dès que les libertés sont menacées ? Voltaire, Hugo et Zola lui servent d’alibi. Oui, pourquoi au XXe siècle et au début du XXIe, l’intelligentsia qui, dans sa grande majorité, a pactisé avec le nazisme et la collaboration, puis ensuite avec le stalinisme et l’idéologie totalitaire succombe-t-elle aujourd’hui, pour une part notable, à la séduction d’une idéologie aussi cruelle et encore plus stupide, l’islamisme ? Suceurs de roues et lécheurs de bottes, munichois et collabos, judas et tartuffes, délateurs et sycophantes. Oui, pourquoi ? J’ai bien ma petite idée, dont je vous parlerai une autre fois. En attendant, laissez-moi reprendre à mon compte le mot d’ordre du vieil antifascisme, de l’antifascisme véritable, qui s’exerça naguère contre le franquisme et l’idéologie de la mort qu’il véhiculait : no pasaran !"

Lire "Aux idéologues islamistes : no pasaran !"



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