Revue de presse

J.-Fr. Colosimo : « 50 ans après la dissolution de la Gauche prolétarienne, que sont les maos devenus ? » (Le Figaro, 1er nov. 23)

(Le Figaro, 1er nov. 23). Jean-François Colosimo, historien des religions, essayiste, directeur des éditions du Cerf. 1er novembre 2023

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"[...] Le 1er novembre 1973, la Gauche prolétarienne, la GP, la faction maoïste qui agite la France et inquiète la République, décide de s’autodissoudre. [...]

Le sabordage advient le jour de la Toussaint où, au calendrier liturgique, l’Église fête les justes anonymes. Il est acté à Versailles, rue Royale, à deux pas de l’ancienne caserne des gardes du corps chargés jadis de veiller sur l’incarnation de l’État. Il a pour but de conjurer le spectre de la Terreur dans l’Hexagone.

Drôles d’emblèmes pour des révolutionnaires ? C’est ignorer que la GP a été le Port-Royal des soixante-huitards. Qu’elle a professé, trois siècles plus tard, la même exigence de vérité et le même impératif du salut. [...]

Les activistes de la GP se prennent pour des Gardes rouges, mais ils inscrivent leur pas dans ceux des très catholiques prêtres-ouvriers. Eux aussi entrent en religion. À leur tour, ils entendent se consacrer à la plèbe, hâter sa libération sur le mode de la communion et acter avec elle, comme ils l’ont appris en cours de grec, qu’apocalypse signifie délivrance. Si ce n’est qu’à l’avènement céleste, ils substituent l’impatience terrestre. [...]

Bientôt, leurs critiques les dépeindront comme des ralliés au Rotary Club ou au néoconservatisme US. Et si, plutôt, ces maos-là avaient saisi, avant les autres, que culte et culture vont de pair dans la fabrique de l’humanité ? Que les imaginaires des peuples sauvent l’histoire de la malédiction de Babel ? Que le caractère inaliénable des droits humains, en rien immanent, engage une forme de transcendance, quand bien même innommée ?

Sur le versant des lettres, s’instaure la recherche des antimondes plus réels que le monde qui font son secret et sa merveille : la racine (Jean-Pierre Le Dantec), l’ailleurs (Michel Le Bris), la marge (Frédéric Fajardie), la limite (Olivier Rolin), l’envers (Jean Rolin), l’éclat (Daniel Rondeau). Chez ces écrivains, le tréfonds symbolique réaffleure, décidant de l’avenir mieux que n’importe quelle idéologie. L’invisible et l’indicible, autrement dit l’origine, ces expériences ordinaires que le positivisme a chassées de la philosophie, vont pareillement occuper le versant des idées.

Les Écritures reviennent et revivifient le commandement de les interpréter. Il suffit, pour commencer, de rouvrir la Bible. Constatant être passé de « Moïse à Moïse par Marx », Benny Lévy reprend l’infinie conversation talmudique tandis que Jean-Claude Milner interroge contradictoirement le devenir de la judéité à partir des Lumières.

Puisant dans la tradition iconoclaste de la Réforme, Olivier Roy entreprend une critique systématique de la croyance à l’âge contemporain. Guy Lardreau, de son côté, décèle dans le christianisme syriaque un autre hellénisme que celui asséché de la Renaissance, empreint de poésie sémitique.

Entretemps, Christian Jambet a rencontré Henry Corbin, le découvreur du continent inconnu qu’était la pensée de la Perse. Un peu de temps encore et, en 1979, l’imam Khomeiny, de retour à Téhéran, lancera son projet planétaire de subversion fondamentaliste dont nous ne sommes pas sortis depuis. Au long d’une œuvre patiente et puissante, Jambet va, lui, élucider le masque aveuglant, religieux parce que postmoderne, dont se couvre désormais la divinisation du politique entamée lors des Temps modernes.

La question de la singularité de la France est rouverte comme elle ne l’avait plus été depuis le XVIIe siècle. Elle a pour réponse qu’il n’est de réel antidote aux fanatismes que la littérature et la théologie car elles refusent toutes deux de laisser à la mort le dernier mot. [...]"


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