Comité Laïcité République - La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une

[...] Le "front républicain" fonctionne de moins en moins. Le barrage quasi-systématique qui empêchait le RN de convertir au second tour ses chances de victoire a sauté en grande partie. Dans les duels entre Ensemble ! et le RN, de nombreux électeurs de la Nupes n’ont pas pris part au barrage, car pour eux, c’était faire le jeu des macronistes. Et dans les duels avec la gauche, voter contre le RN, c’était voter pour les mélenchonistes, dont on nous a expliqué qu’ils faisaient partie des « extrêmes ». [...]

Ce qui s’est passé dimanche est inouï. Tous les mécanismes qui nous permettaient d’avoir des points de repère sont faussés. C’est la suite de la décomposition/recomposition. [...]

Nous avons observé des taux d’abstention massifs sous le quinquennat passé. [...]

Il n’y a pas une cause unique. La première, c’est la fin du patriotisme de parti. Si on était d’une famille de gauche ou de droite, on allait voter par principe, parce qu’il était hors de question de laisser gagner le camp d’en face. Cette affiliation partisane s’est effilochée, d’autant que le macronisme a brouillé les clivages. Deuxième effet de longue durée : l’expérience de l’alternance depuis 1981. Une partie de la population a constaté que le jeu d’essuie-glace droite-gauche n’avait pas fondamentalement modifié sa situation personnelle. On ne se reconnaît plus dans l’équipe des bleus ou des rouges, on a l’impression que le pouvoir politique n’a plus toutes les marges de manœuvre, alors à quoi bon voter ? Mais l’un des ressorts fondamentaux, qui permet de prendre la mesure de la dynamique abstentionniste, c’est le renouvellement générationnel.

Pourquoi ?

Le rapport au vote évolue de manière assez rapide au gré de ce renouvellement, avec la disparition progressive d’une génération âgée, qui a grandi et baigné dans le culte du vote, dans un sens quasi-sacré. On entend souvent la ritournelle selon laquelle certains sont morts pour le droit de vote, etc. Cette représentation est de moins en moins répandue chez les jeunes générations. On peut comparer la République et son vote à l’église et sa messe. C’est le dimanche, souvent en famille, c’est ritualisé. On se souvenait de sa première communion comme de son premier vote. On sait que cela ne change pas la face du monde, mais il y a un acte de foi. De la même manière que le prêtre vieillissant célèbre la messe devant des bancs clairsemés, les présidents de bureau de vote ont un problème de désaffection. Recruter des assesseurs est devenu aussi compliqué qu’enrôler des enfants de chœur. [...]

Le vote est-il un rituel de « la France d’avant », pour citer une expression de votre dernier livre ?

Si on reprend la thèse de Marcel Gauchet sur la sortie de la religion, on peut décrire un processus de sortie de la matrice civique et républicaine, poussé par cette force très puissante qu’est l’individualisme utilitariste. On se détourne aujourd’hui de l’isoloir comme on se détournait hier de l’église. De la même façon que la virée du dimanche chez Ikea a remplacé la messe dominicale, le rite du barbecue remplace celui du vote.

On explique souvent que la solution à l’abstention des jeunes, c’est plus de pédagogie et d’instruction civique. En réalité, le fait électoral est dévitalisé. Quand on parle de circonscriptions, de scrutin majoritaire, ça ressemble à une langue morte : c’est un peu le latin de la messe. [...]"

Lire "Jérôme Fourquet : "On se détourne de l’isoloir comme on se détournait de l’église"".