12 octobre 2015
"Peut-on encore débattre en France ? Entendez : peut-on encore confronter des opinions contradictoires (c’est le principe même du pluralisme démocratique) sans diaboliser, excommunier, anathémiser le contradicteur ? Peut-on ne pas adhérer à la doxa identaro-néolibérale véhiculée par certains médias sans être rejeté dans l’enfer du néobolchevisme ? Peut-on se différencier de l’autre orthodoxie, mondialisto-libertaire dont d’autres médias se veulent les gardiens vigilants, sans être accusé de dérive lepénisante ?
Et peut-on surtout disposer du moindre droit à la parole si on ne se reconnaît dans aucune de ces options doctrinaires, légitimes par ailleurs ? Cette interrogation pèse de plus en plus lourdement sur la vie intellectuelle hexagonal. On vient d’en avoir une spectaculaire illustration. Libération, consacrant sa une à Michel Onfray, l’a agrémentée d’une violente charge polémique dirigée contre les prises de position du philosophe. C’était le droit le plus strict de ce journal. La vivacité des empoignades idéologiques est inhérente au débat démocratique. A condition que, même réfutée, la différence de l’autre ne soit pas criminalisée. Or, pour avoir émis une opinion déviante et discutable sur la crise des migrants, l’auteur, hier étiqueté d’extrême gauche, était quasiment assimilé au Front national, c’est-à-dire intellectuellement brûlé vif.
Deux jours plus tard, ce fut le bouquet. Le Monde, dans une manchette de première page, suggérait que tout intellectuel, principalement de gauche, dont le parti lepéniste reprenait à son compte une idée, une formule, une image, devenait objectivement, et fût-ce inconsciemment, son complice. Donc quand le Monde accuse Bachar al-Assad de massacrer son propre peuple, il est inconsciemment complice d’Al-Qaida qui dit la même chose ? Le lendemain, rebelote : parce que trois journaux, de tendance diamétralement opposée, avaient mis en exergue Régis Debray, le même Onfray et Eric Zemmour, ces trois écrivains que tout sépare étaient amalgamés après dissolution dans le concept de « déclinisme ».
Ces trois approches (nous refusons, nous, de dire « ces trois dérives ») justifiaient que la direction de Marianne décide d’organiser une réunion publique sur le thème « Peut-on encore débattre en France ». Et, alors, ce fut grandiose : ce n’était même plus l’un des termes du débat qui était anathémisé, c’était le débat lui-même. Son principe. En appelant au débat, Marianne se faisait le chantre d’un Onfray excommunié et sentait par conséquent le fagot.
Du coup, le Front national, qui n’en revenait pas qu’on lui fasse autant de cadeaux, qui jouissait qu’on l’installe en quelque sorte en maître du jeu, sautait sur l’occasion que lui offrait le Monde et, dans le but lui aussi de rendre tout débat impossible, appelait les intellectuels de gauche critiques à se rallier à lui. Ce que le Monde, illico, mettait en exergue. Bonne guerre. Jeu de saute-mouton.
Alors, peut-on encore débattre aujourd’hui en France ?
L’actualité nous le démontre assez : le terrorisme provoque des réactions de fuite. C’est le but recherché. Hantise de la voiture piégée ! L’enfermement dans des chapelles, dont les ego peuvent devenir les dieux, ne favorise pas non plus de dialogue salvateur. Alors, peut-on encore débattre aujourd’hui en France ? La réponse pourrait être que des milliers de citoyens, qui refusent les exclusions, les mises hors la loi, les ostracismes pour délit de déviationnisme, se retrouvent devant une tribune vide parce que les intimidations auraient atteint leur but. Alors la démonstration serait faite : non, le débat démocratique n’est plus possible en France. Le terrorisme intellectuel aurait triomphé. La preuve serait ainsi faite. Succès total ! Mais non : on ne doit pas, pour se faire plaisir, se résoudre à ce constat dont précisément le FN serait le seul profiteur. Lui abandonner le drapeau de la liberté d’expression ? Folie ! On ne peut pas laisser des invariances néopétainistes à droite, néostaliniennes à gauche, saturer l’espace de la libre confrontation et la rendre impossible. Nous invitons donc tous ceux, tous les républicains, respectueux des altérités de pensée, de quelque sensibilité qu’ils se réclament dès lors qu’elle se situe dans l’espace démocratique, à venir répondre avec nous : oui, le débat démocratique est encore possible parce qu’il est nécessaire. Dans le journal le Monde deux intervenants (dans le cadre d’une tribune libre, précisons-le, à laquelle j’ai moi-même collaboré dans le sens inverse), ceux-là mêmes qui avaient voulu interdire le philosophe Marcel Gauchet de conférence inaugurale à Blois, ont fort bien défini l’enjeu : nous refusons le débat démocratique contradictoire, ont-ils tenu à faire savoir.
Citons les, et faisons en sorte, pour information, que leur texte circule : « Au mythe de l’espace public comme lieu unifié de délibération, il faut opposer l’idée selon laquelle il y a des problématiques incompatibles entre elles. Ils ne parlent que de nation, de peuple, de souveraineté ou d’identité nationale, désagrégation. Nous voulons parler, nous, de classe, de violence, de domination. Voici les deux scènes possibles. Irréductibles l’une à l’autre. Nous n’acceptons pas de présenter comme des opinions sujettes au débat ce que l’on sait être faux. »
Opposer ce néostalinisme au néopétainisme qui sévit parfois de l’autre côté ? Nous, nous acceptons le débat, même avec eux. Alors que ceux, heureusement très majoritaires, qui partagent notre point de vue viennent le dire. Que les adversaires du verrouillage acceptent enfin de prendre la parole. Bien qu’étant profondément en désaccord avec certains positionnements du Monde, je serai prêt à tous les sacrifices pour protéger son droit de les défendre si ce droit était menacé. On aimerait être sûr que ce sentiment est partagé."
Comité Laïcité République
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