Jean-François Carenco, préfet d’Ile de France et président de l’Association du corps préfectoral. 13 septembre 2016
"Lutte contre le terrorisme, laïcité, Grand Paris, relations État-collectivités… Le préfet d’Île-de-France et président de l’Association du corps préfectoral défend son action et celle des préfets dans un entretien exclusif à "Acteurs publics".
En cette période troublée par le risque terroriste, quel est l’état d’esprit des préfets sur le territoire ?
Les préfets sont des fonctionnaires loyaux, patriotes et qui croient en la République. Beaucoup d’entre eux ont déjà vécu et vu, dans le cadre de leurs fonctions, des choses difficiles. Comme président de l’Association du corps préfectoral, je plaide donc pour une grande sérénité. Les préfets sont sereins, déterminés et sûrs de gagner face à la barbarie. Je voudrais citer cette belle phrase de Théodore Monod : “Croire quand même, espérer quand même, aimer quand même”. Voilà, c’est cela l’état d’esprit des préfets aujourd’hui.
Est-il facile d’agir dans le contexte actuel ?
Concernant le risque terroriste, les préfets appliquent sans états d’âme l’état d’urgence. Ils sont sous les ordres du ministre de l’Intérieur pour prendre les mesures d’ordre public qui s’imposent. Leur devoir est aussi de faire confiance à la justice car un préfet qui critique la justice n’a pas sa place dans le corps préfectoral. Enfin, les préfets doivent avoir en tête que notre monde occidental se situe à un point de bascule entre la barbarie et les Lumières. Nous devons agir sur les trois leviers : police, justice et lumière, c’est-à-dire culture et éducation.
Le rôle du préfet n’a cessé d’être conforté ces dernières années dans différents domaines de l’action publique. Les attentats ne font-ils pas revenir au premier plan le rôle sécuritaire du préfet ?
C’est un vrai sujet. Sur le territoire, le préfet représente le gouvernement dans son ensemble et chacun des ministres, et donc le ministre de l’Intérieur, qui gère aussi le corps préfectoral… Cela peut conduire, au moins dans l’opinion publique et surtout dans les circonstances actuelles, à confondre le préfet et le chef de la police. C’est le moment qui veut cela et les préfets doivent l’assumer même si, en temps normal, les affaires de police ne représentent pas, loin de là, la majeure partie de notre tâche. Mais ne perdons pas de vue que l’État, c’est ce qui permet de vivre ensemble de manière dynamique et le préfet incarne cette mission dans sa globalité.
Les préfets ont la grosse responsabilité d’autoriser ou pas certains événements et de sécuriser les lieux publics. Comment les relations avec les élus locaux se passent-elles ?
Il ne faut pas surestimer les tensions qu’il a pu y avoir ici et là entre certains élus et l’État. Tout le monde doit avoir en tête que si la France est frappée à ce point par le terrorisme, c’est parce que, plus que d’autres pays, elle a une vraie politique étrangère courageuse et qu’elle s’est engagée clairement contre la barbarie à travers nos opérations extérieures. La France est aussi attaquée parce qu’elle incarne et revendique son attachement aux valeurs républicaines. Donc, au-delà des déclarations des uns et des autres, à de rares exceptions près, la situation sécuritaire actuelle a rapproché l’État et les élus locaux au quotidien.
Un préfet, par nature, est plutôt jacobin. Un jacobin intelligent, on peut l’espérer. Il pense plutôt que l’intérêt général est un intérêt national. Le débat est permanent sur le contrôle de légalité et sur le point de savoir qui mène l’action publique. Cela dépend des sujets, des échelons de collectivités territoriales et des personnalités. Mais globalement, préfets et élus locaux ont des relations apaisées même quand il y a des désaccords. En période de décentralisation, le préfet doit faire strictement respecter les règles de compétences sinon, c’est le désordre assuré.
Comment les préfets ont-ils vécu la polémique entre les services de l’État et certains Niçois après l’attentat de Nice ?
Les préfets soutiennent les préfets et ils savent comment fonctionnent notre système et les grands élus. Je ne dirais qu’une chose : ce n’est jamais bien de faire de la politique pure sur ces sujets douloureux et techniques. Les préfets savent faire la part des choses.
Faut-il clarifier ou repréciser le rôle des maires et de l’État en matière de sécurité ?
Je constate que les collectivités locales, à travers leurs associations, ne revendiquent pas de nouveaux pouvoirs en matière de sécurité. Encore une fois, dans la réalité au quotidien, sous la responsabilité de Bernard Cazeneuve [le ministre de l’Intérieur, ndlr], les relations entre les élus et les préfets sont apaisées.
Le corps préfectoral, à travers son association, organise, le 15 septembre prochain à la Sorbonne, un colloque sur la laïcité. Pourquoi et quels sont les enjeux pour les agents publics aujourd’hui dans ce domaine ?
L’enjeu est de parler de la République et d’apporter notre contribution à l’effort quotidien pour le maintien de la République. Car il faut avoir à l’esprit que rien n’est acquis. Depuis 1792, la République a disparu et a été rétablie plusieurs fois. Je précise que la République, ce n’est pas la démocratie. C’est la démocratie et quelque chose en plus : la croyance en une communauté de destin. Ce n’est pas toujours très bien compris à l’étranger. Le préfet est avant tout le serviteur et le héraut de la République. Dans ce cadre-là, l’Association du corps préfectoral a décidé d’aborder le thème de la laïcité dans le contexte que vous connaissez.
Un contexte tendu… La laïcité est parfois considérée comme l’ennemie des religions. Comment faire en sorte que le message passe bien et soit compris dans les lieux publics, dans les administrations, à l’école ?
Il y a eu plusieurs versions de la laïcité. Au tout début du XXe siècle, les tenants de la laïcité étaient opposés aux religions. La laïcité a ensuite permis une sorte de paix entre tous qui a duré jusqu’à l’émergence en France d’une nouvelle religion, la religion musulmane. Cette nouvelle donne nous conduit donc à reposer la question de la laïcité.
La question est donc de savoir comment faire vivre la religion musulmane dans le cadre de la laïcité ?
Si elle ne vit pas dans cadre de la laïcité, elle n’a pas sa place dans la République. Mais à part les radicaux, les salafistes, personne ne remet en cause cela.
Les services publics, les agents publics sont parfois mis à l’épreuve. Comment les accompagner, comment réagir ?
Le rôle du corps préfectoral est de rappeler les valeurs. Après, le législateur fixe les règles dans le respect de la Constitution. Notre mission est d’aider chaque agent public confronté à ces questions à l’hôpital, à l’école, à la piscine municipale, aux guichets des préfectures. L’émergence d’une religion musulmane qui a envie d’exister dans l’espace public suscite aussi parfois une attente identique dans d’autres religions de se remontrer à l’extérieur. C’est pour cela que la discrétion évoquée par le Premier ministre est sans doute l’une des voies de la laïcité.
La question de la laïcité se pose là dans des pays où la République représente davantage que le simple fait de vivre ensemble. On se doit de partager des valeurs. Il est sain que le débat se pose.
Dans l’interprétation de la laïcité, redoutez-vous des différences d’approches entre l’État et certaines collectivités locales ?
Il y a un risque dans certains endroits et il ne faut pas accepter cela. Dans le cas de piscines réservées aux femmes par exemple, le préfet doit intervenir et rappeler la règle. Il doit faire vivre la République, sous le contrôle des tribunaux. Mais doit-on laisser les tribunaux trancher ou bien est-ce aux parlementaires de se saisir de la question ? Attention aux solutions simples sur les sujets complexes. Dans ce cas, on s’engage dans la voie du populisme. Notre République, c’est aussi des institutions, un président de la République, un gouvernement, un Parlement. Il faut leur faire confiance.
La période électorale qui s’ouvre est pourtant peu propice à la nuance…
Oui, mais ne confondons pas tout. Il faut faire attention à ne pas critiquer l’expression des grands élus et croire que ce sont des gens à la pensée simple. Je m’élève avec vigueur contre cela. On peut être opposé à telle ou telle chose, c’est la démocratie. Mais critiquer en disant que nos grands élus n’ont rien compris, les prendre pour incompétents, des profiteurs, cela participe d’un populisme coupable. Cela fait plus de vingt ans que je suis préfet, j’ai vu plus de grands élus s’appauvrir que s’enrichir. Chaque matin, vous avez 500 000 élus qui se lèvent avec le sens de l’intérêt général. C’est un acquis formidable pour notre pays. Cessons de critiquer tout le temps. [...]"
Lire "Jean-François Carenco : “La discrétion est sans doute l’une des voies de la laïcité”".
Lire aussi Regis Debray : "Etes-vous démocrate ou républicain ?" (Le Nouvel Observateur, 30 nov. 89) (note du CLR).
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