Culture / Cinéma

J’accuse : Polanski, un des meilleurs réalisateurs de notre époque (G. Durand)

par Gérard Durand. 25 novembre 2019

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

J’accuse, de Roman Polanski (2 h 12), avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner. Sorti le 13 nov. 19.

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Polanski est certainement un des meilleurs réalisateurs de notre époque, comme le disent les comédiens du film, il sait tout du cinéma, il peut tout faire : acteur, réalisateur, chef opérateur… ; son talent s’affiche partout. Et pourtant, certains le lui reprochent, disent que la technique se voit trop, que ses films sont trop raides, trop fabriqués, et ils n’ont peut-être pas tort.

Faire un film sur cette histoire qui fut l’un des événements marquants de la Troisième République n’était pas sans risques car cela revenait à afficher l’antisémitisme qui régnait alors dans les forces armées et dans une large partie de la population, à afficher aussi l’incompétence hargneuse d’un état-major qui sera largement responsable d’une partie des massacres de la Première Guerre mondiale. Pour que le film prenne sens, il fallait de gros moyens, tant dans la réalisation que pour la communication. Et Polanski les avait. Grande distribution, avec des acteurs comme Dujardin et Garrel, abondance de figurants, comme le montre la première scène, ou des soldats assistent au garde à vous par centaines à la destitution de Dreyfus.

Mais l’imprévu existe. Et Polanski l’a rencontré avec une nouvelle accusation de viol. Nous savons que dans notre pays les agressions sexuelles sont poursuivies et, parfois, condamnées avec une grande modération. Mais Polanski en est à sa cinquième accusation et cela commence à faire beaucoup. Alors l’émotion surgit, pas seulement chez les féministes, et beaucoup se demandent si l’on peut séparer l’œuvre de son auteur et s’il ne serait pas bien de ne pas aller voir ce film.

Le problème est que les questions qui se posent concernent surtout nos institutions. Polanski a été condamné par la justice américaine pour viol sur mineure, et c’est pour échapper à une lourde peine qu’il s’est réfugié en Suisse et passe beaucoup de temps en France. Si l’on peut admettre le refus d’extradition de ces deux pays, il est plus difficile de comprendre pourquoi ce refus n’a pas été annulé dès la première récidive, à la cinquième on est dans l’incompréhensible.

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Mais revenons à ce film dont l’histoire se résume en une phrase. Un capitaine de l’état-major des armées est condamné pour avoir communiqué des information secrètes à un puissance étrangère, la peine est lourde et il faut la rendre exemplaire. Dreyfus ne va pas au bagne mais sur un gros rocher totalement isolé d’où il ne pourra pas communiquer, l’Îlot du diable. Tout au long du procès, la presse et les mouvements de droite ne manquent pas de souligner que Dreyfus est juif.

Sa condamnation est due à l’enquête du colonel Picquart, qui détient les preuves de sa culpabilité. L’acteur est Jean Dujardin, tout le film repose sur lui et il est exceptionnel. Alors que Dreyfus, qui ne fera que de courtes apparitions, est joué tout en raideur par Louis Garrel, certes excellent mais dont on se demande s’il a réussi à entrer dans le personnage.

Picquart, après la condamnation de Dreyfus, est nommé à la tête d’un service de contre-espionnage et, en prenant connaissance de ses dossiers, dont celui, secret, de Dreyfus, il se rend très vite compte qu’ils contiennent beaucoup d’incohérences. Il aboutit à la conclusion que le coupable est un autre militaire, le capitaine Estherazy, coureur, flambeur et qui trahit pour de l’argent.

C’est à ce moment que l’histoire chavire. Personne dans l’armée n’accepte de remettre en cause le jugement. Les plus grands généraux décident de passer Dreyfus en pertes et profits et de surtout ne pas révéler la vérité. Démarche catastrophique car Picquart, devenu entre temps un suspect très surveillé, informe Emile Zola qui, dans sa célèbre lettre parue dans le journal L’Aurore, rend l’affaire publique entraînant manifestations teintées d’antisémitismes, autodafés de L’Aurore, nouveaux procès et condamnations de Zola. Pour sauver la face, Dreyfus est de nouveau condamné mais on lui propose une amnistie, qu’il accepte. Picquart bénéficiera aussi d’un retournement politique pour devenir ministre des Armées… sept ans plus tard.

Gérard Durand


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