Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 9 octobre 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Israël-Palestine : il faudrait qu’un jour chacun remette les compteurs à zéro".
"Il faudrait qu’un jour chacun remette les compteurs à zéro. L’attaque subie samedi dernier par Israël sur une partie de son territoire et menée par l’organisation terroriste Hamas aurait causé, à ce jour, plus de 700 morts, dont beaucoup parmi les civils israéliens. On a voulu y voir une seconde guerre du Kippour, un autre 13 novembre 2015 ou un nouveau 11 septembre 2001. Ces parallèles avec d’autres offensives, terroristes ou militaires, montrent le désarroi face à de telles horreurs.
Pendant que Netanyahou parlait d’une « guerre », des journalistes évoquaient « une attaque terroriste », comme pour faire sortir cet événement de la routine du conflit israélo-palestinien. Pour les attentats de 2015, c’était l’inverse, ils étaient qualifiés d’« actes de guerre » pour en signifier l’exceptionnelle gravité. La terreur vécue par les civils se retrouvant chez eux face à des tueurs du Hamas ne laisse cependant place à aucun doute.
Ce ne sont pas uniquement des soldats en armes qui ont été tués, mais aussi des civils, méthodiquement abattus. Comme ces jeunes gens dans le désert qui participaient à une rave party. Quelle faute avaient-ils commise pour mériter ça ? Celle d’être juifs ? Ces assassinats ont visiblement été motivés par d’autres raisons que celles d’un conflit armé entre deux peuples.
Le Hamas a pour ambition de faire disparaître l’État d’Israël. En exécutant un par un des centaines de citoyens israéliens, uniquement en raison de leurs origines, l’organisation terroriste a manifestement appliqué une politique de nettoyage ethnique. Quand cette tragédie aura pris fin, l’analyse des événements imposera de répondre à cette question.
Une guerre, des crises, une diversion ?
L’autre interrogation est celle du moment de cette attaque. Intervient-elle aujourd’hui parce qu’une crise politique grave fracture la société israélienne, entre l’extrême droite ultrareligieuse et les citoyens attachés aux institutions démocratiques de leur pays ? Le Hamas a-t-il voulu profiter de ces divisions qui, selon les observateurs, menaçaient les fondements mêmes de l’État d’Israël ? Quant à l’Iran, qui soutient le Hamas, il traverse un autre type de crise, celui d’une révolte contre le voile et le pouvoir des religieux. Cette attaque était peut-être, pour Téhéran, une occasion de faire diversion et de renforcer le pouvoir contesté de ses dirigeants ?
Une chose est sûre, ce déferlement de violence déclenché par le Hamas a pour but d’empêcher toute tentative de résoudre pacifiquement ce conflit. Et après de tels massacres, on peut se demander si cette stratégie ne va pas finalement réussir. Au lendemain de chaque poussée de violence, on reparle de « plan de paix » et de la nécessaire création de « deux États côte à côte ». Pourtant, à chaque fois que les armes parlent et que le sang coule, on y croit de moins en moins.
Si demain la Palestine devenait entièrement souveraine, cela signifierait qu’elle aurait le droit, comme n’importe quel État indépendant, d’avoir une armée, de l’entraîner et parfois de l’utiliser. Israël acceptera-t-il d’avoir sous sa fenêtre un pays doté d’une véritable armée, avec des missiles et des bombes autrement plus efficaces et précises que les roquettes fabriquées à la main, lancées depuis la bande de Gaza ? On l’imagine mal. Car lorsqu’on observe les réactions des Palestiniens devant les chars israéliens en feu, on sent transpirer la jouissance de la vengeance.
Une charge mentale monstrueuse
Une rancœur telle que certains d’entre eux exultent de voir les cadavres de civils allongés devant des arrêts de bus, mitraillés par les terroristes islamistes du Hamas. Et lorsqu’on interroge les habitants terrés dans leur maison pour éviter de se faire kidnapper ou tuer par une roquette, ils se disent impatients de voir l’armée israélienne « faire le ménage » dans la bande de Gaza. Palestiniens et Israéliens se sentent dépositaires de tout ce qui s’est passé depuis 1948, et chaque génération est galvanisée par les événements des époques précédentes.
Pour qu’une paix durable soit un jour possible, il faudrait que chacun remette les compteurs à zéro et se vide la tête de toute idée de vengeance. Qui est capable d’une telle prouesse, dans un camp comme dans l’autre ? Si le droit international autorise Israël à se défendre et la Palestine à être une nation libre et indépendante, il ne peut effacer d’un trait de plume ce que les gens de cette région ont en mémoire depuis soixante-quinze ans. Y aura-t-il un jour des Palestiniens et des Israéliens capables de se libérer de cette charge mentale monstrueuse qui les écrase depuis des décennies en faisant d’eux les légataires universels du passé de leur peuple ?
Se détacher du passé ne signifie en aucune manière l’effacer et encore moins l’oublier. Pour reconstruire leur continent après 1945, les Européens ont dû abandonner l’idée de faire payer aux Allemands tous les crimes que leur pays avait perpétrés pendant cinq ans, et qui furent parmi les pires de toute l’histoire de l’humanité. L’Europe y est parvenue. Palestiniens et Israéliens auront-ils un jour la force d’en faire autant ? Cette question, ce n’est probablement pas cette semaine qu’il faut se la poser. Après ce qui vient de se passer, il est trop tôt pour le faire. Ou malheureusement, trop tard."
Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Palestine dans Israël (note de la rédaction CLR).
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