Revue de presse

"« Islamophobie » : les chiffres du CCIF ne sont pas fiables" (I. Kersimon, lefigaro.fr/vox , 20 jan. 16)

Isabelle Kersimon, auteur de "Islamophobie : la contre-enquête" (Plein Jour). 21 janvier 2016

"Bernard Cazeneuve a annoncé que les actes antimusulmans avaient triplé cette année. Le Collectif contre l’islamophobie en France annonce des chiffres bien plus élevés.

Dans une interview au journal La Croix, Bernard Cazeneuve a annoncé les chiffres des actes antisémites, antimusulmans et antichrétiens pour l’année 2015. Les actes antimusulmans ont plus que triplé et s’établissent à « environ 400 ». Pourtant, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) évoque des chiffres bien plus élevés concernant les actes « islamophobes ». Comment expliquez-vous un tel décalage ? Comment ces chiffres sont-ils obtenus ?

Isabelle Kersimon : Les chiffres du CCIF ne sont absolument pas fiables : son rôle est d’alimenter le sentiment de persécution des musulmans par les non-musulmans et de faire entériner le concept d’islamophobie pour imposer l’interdit de « diffamer les religions, surtout l’islam », ainsi que de faire abroger les lois de 2004 et 2010 sur le voile « islamique » à l’école et le voile intégral. J’ai étudié l’ensemble de leurs statistiques entre fin 2003 et 2012. Leurs rapports annuels étaient alors disponibles sur leur site, constitués de listes totalement imprécises, avec des doublons et des triplets visiblement comptabilisés pour autant d’actes « islamophobes ». J’ai donc fait des recherches poussées sur chaque doléance, en me basant sur les informations fournies par le CCIF et en parvenant le plus souvent à les recouper avec des informations parues dans la presse régionale ou nationale, à partir d’un nom, d’une ville, d’un lieu ou d’une simple date. Au-delà de ce relevé précis qui permettait dans un premier temps d’établir un acte unique pour trois mentions, par exemple, j’ai voulu connaître les suites données : enquêtes de police, puis jugements.

Il faut savoir que le CCIF comptabilisait à l’époque comme « actes islamophobes » des faits aussi divers qu’une question posée à une jeune femme voilée lors d’un entretien à l’ANPE, des règlements de compte crapuleux, des vols relevant du simple droit commun, des propos jugés insultants et, beaucoup plus graves, des expulsions de prédicateurs violemment antisémites et appelant au djihad contre les infidèles et l’Occident, voire en lien avec des entreprises terroristes.

Les relevés du CCIF ne sont plus disponibles sur leur site. En revanche, il a conservé sa spécificité : délivrer de fausses informations, amplifier des phénomènes, accumuler des faits invérifiables. Agissant sur les réseaux sociaux en véritables commandos groupés, ses membres pratiquent ce que ReputatioLab appelle « cloudsurfing », contraignant ainsi les médias à se tourner vers eux et, de ce fait, à légitimer leur discours. À l’aide de hashtags affolants (#PerquisitionnezMoi, par exemple), ils mobilisent des comptes dont on ignore tout de la tangibilité dans le monde réel. La question se pose vraiment, car nombre de musulmans ne s’y retrouvent absolument pas et refusent cette instrumentalisation victimaire. À propos des perquisitions, le porte-parole du CCIF, Yasser Louati, a ainsi déclaré sur Al-Jazeera qu’elles consistaient en « raids brutaux » et humiliaient des « millions de musulmans »...

J’alerte depuis longtemps sur les manipulations statistiques du CCIF. L’exemple le plus frappant reste sans doute le faux meurtre « islamophobe » de Dreux sur un homme sortant d’une mosquée, Archane Anouar. L’enquête a montré que deux criminels ont été jugés en cour d’assises en mars 2011 et que l’un d’eux, Nassim Djellal, a été condamné à dix ans de prison pour violences volontaires ayant entraîné la mort, sans que le juge relève l’aggravation d’« islamophobie »… Il s’agissait d’une sordide affaire de règlement de compte. Deux jours après les attentats atroces de novembre, le CCIF a alerté sur le « tabassage » (« islamophobe ») de deux « passants d’origine maghrébine » lors d’une manifestation raciste à Pontivy. Yasser Louati déclare même sur Al Jazeera que la victime est tombée dans le coma. Un simple appel à la mairie de Pontivy m’a suffi pour, encore une fois, démonter l’imposture : lors d’un affrontement entre identitaires et antifascistes, un Pontivien d’origine antillaise a eu des dents cassées et une lèvre fendue…

Le ministère travaille avec le CFCM et comptabilise les plaintes reçues. D’où le décalage saisissant entre ces deux sources.

Le ministre de l’Intérieur fait état d’une diminution de 5% des « actes antisémites », qui restent cependant « à un niveau élevé, avec 806 actes constatés ». Constater une diminution des actes antisémites, l’année de l’attentat contre l’HyperCasher, n’est-ce pas paradoxal ? Ces actes sont-ils classés selon leur degré de gravité ?

Non, la gravité des actes n’entre pas en considération dans la froideur statistique. Je tiens ici à préciser que parmi les 806 actes antisémites constatés sur à peine 1 % de la population, il y a eu en 2015 quatre victimes juives massacrées à l’HyperCasher parce qu’elles étaient juives - et que la policière Clarissa Jean-Philippe a été abattue parce qu’elle était postée à proximité d’une synagogue et d’une école juive, ainsi que plusieurs agressions au couteau particulièrement graves, destinées à tuer et ayant entraîné des blessures sanglantes, portées dans la rue contre des concitoyens juifs parce que juifs.

Les lieux de cultes et cimetières chrétiens, qui sont les plus nombreux en France, « ne sont pas épargnés avec 810 atteintes », soit une « hausse de 20% », a indiqué Bernard Cazeneuve. Les actes antichrétiens sont plus nombreux et moins médiatisés que les actes antimusulmans ou antisémites. Sans tomber dans la concurrence victimaire, a-t-on tendance à banaliser cette violence ?

Le ministère ne minimise absolument pas les actes antichrétiens, ni ne les traite avec moins de sévérité. Le patrimoine cultuel chrétien est en effet celui qui est le plus touché en nombre par les dégradations. Il est aussi le plus important en nombre, en France. Encore une fois, il faudrait être en mesure de connaître le détail de chaque dégradation ou violence envers les personnes en raison de leur confession pour répondre correctement à une telle question. Je déplore que certains chrétiens versent en effet dans une forme de concurrence victimaire. S’exprime surtout la crainte d’être dépossédé non du nombre d’exactions, mais d’une part de son identité historique.Il est vrai que les médias, quant à eux, ne relaient pas en boucle sur le ton le plus offusqué les exactions antichrétiennes. Dans la logique qui est la mienne, je considère que c’est heureux car ces escalades médiatiques ne présagent rien de bon.

Quel que soit la réalité des chiffres, l’augmentation de ces actes n’est-elle pas préoccupante ?

La crispation autour du fait religieux est indéniable en France et le manque crucial d’éducation est, pour moi, sans aucun doute à l’origine de nombre d’actes de vandalisme, voire de profanations. L’augmentation du nombre de profanations concerne les trois grands monothéismes et est, en effet, très préoccupante. Il faut cependant distinguer, à mon sens, ce qui relève de « traditions » d’extrême droite en général assez localisées - je n’ai pas encore décrypté les chiffres de 2015, mais entre 2003 et 2012, nombre de profanations de lieux de culte et de sépultures musulmans et juifs avaient eu lieu au même endroit et au même moment, et, pour ce qui concerne les lieux chrétiens, les actes motivés par des groupuscules satanistes. Cela dit, les inscriptions racistes sur les mosquées, les jets de chair porcine, les menaces adressées à des responsables musulmans et les dégradations spécifiquement antimusulmanes se sont en effet multipliées, surtout après les attentats de janvier, comme une réponse abjecte à l’horreur des massacres. La hausse a été moins forte après les attentats de novembre. Et c’est cela qu’il faut comprendre de toute urgence : ne pas céder à une tentation vengeresse en réponse aux tueries des djihadistes.

Je pense d’ailleurs que l’on gagnerait en sérénité si, plutôt que se saisir de faits dont on ignore les causes et de les relayer dans tous les médias, on les considérait non pas en raison du nombre de plaintes déposées, mais après résultat d’enquêtes. Il faudrait analyser dans le détail les dates, les faits, les auteurs et les motivations.

Peut-être conviendrait-il aussi d’étudier de près les menaces et les discours que des prédicateurs proches des courants fréristes, salafistes, wahhabites délivrent à leurs fidèles ou lancent contre des personnalités dont le seul tort est de s’exprimer. N’oublions jamais qu’être accusé d’être islamophobe tue."

Lire "« Islamophobie » : les chiffres du CCIF ne sont pas fiables".



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales