Revue de presse

"Islamisme à l’école : des profs brisent l’omerta" (leparisien.fr , 21 oct. 20)

23 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour bon nombre d’enseignants, choqués par la mort de Samuel Paty, il est grand temps de lever la chape de plomb qui entoure ce qu’ils vivent au sein de leur classe à cause de la religion. Ce qui leur est arrivé est souvent hallucinant.

Par Christel Brigaudeau, Vincent Mongaillard, Emilie Torgemen

Sans être une généralité, ni le fait de tous les établissements en France, les incidents de cours et les tensions de préaux mettant en cause la laïcité semblent bien plus nombreux que ce que donnent à voir les statistiques officielles : 935 cas d’entraves aux valeurs de la République ont été remontés entre septembre 2019 et mars 2020, selon le bilan publié il y a une semaine par l’Education nationale à la Sorbonne, à l’endroit même où sera rendu ce mercredi l’hommage national à Samuel Paty.

Dimanche à Paris, sur une place de la République endeuillée qui pleurait la mort de ce professeur d’histoire géographie de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), victime d’un assassinat pour avoir montré à ses 4e une caricature de Mahomet, s’élevait déjà une musique dissonante parmi les enseignants qui entonnaient « la Marseillaise » ou tentaient d’entendre les discours officiels crachotés par la sono défectueuse : la douloureuse sensation de se retrouver seuls face aux coups de boutoir des religions — et notamment de l’islam — contre les portes des salles de classe.

Quel est le petit de l’âne ? Le mâle de la truie ? En posant ces questions en classe, Aurélie (le prénom a été changé), maîtresse de CM1 dans une école du Val-d’Oise, ne pensait pas s’attirer des problèmes. « Mais au moment de dire cochon, personne dans la classe n’a voulu répondre et, le lendemain, un père a mis un mot dans le carnet de son fils, me disant que je ne devais pas obliger les enfants à prononcer des mots interdits », raconte l’enseignante, éberluée que l’islam ait pu être invoqué pour contester une séance de vocabulaire sur les animaux de la ferme.

Choquée, l’institutrice n’a pourtant rien dit à sa hiérarchie. « Pour quoi faire ? Je sais qu’elle ne me soutient jamais », balaie d’un revers de main cette professeure, en poste depuis seize ans, et qui aujourd’hui a peur. « Plusieurs élèves de l’école m’accusent d’être raciste, un garçon de 10 ans est venu me voir la semaine dernière en disant : Vous favorisez les blancs… J’ai eu une altercation avec deux papas de ces élèves vendredi, juste avant les vacances. » Quelques heures plus tard, elle apprenait la décapitation de Samuel Paty. « Je n’en dors plus la nuit, j’y pense tout le temps », confie Aurélie.

Marie (le prénom a été changé) estime que la situation s’aggrave « depuis sept ans environ », dans le collège de l’Essonne où elle enseigne la SVT depuis deux décennies. Dans cet établissement situé « dans un quartier sensible », les cours sur la théorie de l’évolution ne passent plus.

Il y a quelques semaines encore, après une séance sur les espèces, un élève lui a lancé : « Ce que vous dites est faux, et je vous préviens, ce ne sera pas la peine de venir nous parler de votre Darwin. » C’était la troisième fois depuis septembre que des collégiens la mettaient en garde de cette manière, en citant le savant anglais. Marie ne s’en offusque plus, comme elle ne s’étonne plus qu’après chaque cours sur la sexualité, un élève passe près de son bureau en lui soufflant qu’elle « devrait avoir honte ».

« Vous les Français, vous aimez trop parler de cela (NDLR : la sexualité) : cette phrase-là est un classique, je l’entends tous les ans, comme je m’entends dire de toute façon, vous êtes contre ma religion », explique l’enseignante, qui « gère » en multipliant les interventions sur la différence entre science et croyance. Mais elle ne peut pas empêcher certaines jeunes filles de se boucher les yeux et les oreilles quand elle projette un documentaire sur l’accouchement.

Certaines, qui refusaient de coller dans leur cahier les schémas sur l’appareil reproductif féminin et masculin, lui ont expliqué leurs raisons : « Je ne peux pas ouvrir cela chez moi ! Devant mes parents ! Mon père va me frapper ! » Marie leur a fait une concession, par souci de protection : « Je leur demande d’apprendre la leçon et je leur propose de laisser le cahier en classe ou de ne pas coller la feuille. »

Marie a aussi eu maille à partir avec un ado de 3e, agressif après qu’elle lui a fait remarquer qu’il n’était « pas supérieur aux filles », raconte-t-elle. « Il m’a fait des menaces à mots couverts, que je n’ai pas laissées passer. J’ai convoqué les parents, rappelé la charte de la laïcité qu’ils avaient signée en début d’année, et ça s’est calmé. »

Mais, si les incidents se tassent, la contestation demeure, silencieuse. « Les élèves me disent ce que je veux entendre pour avoir les notes qu’il faut dans les évaluations, confie Marie, mais ils n’en pensent pas moins. Je le sais très bien. C’est toujours ce que les élèves ont vu ou lu en dehors de l’école qui fait foi à leurs yeux. On ne fait pas le poids. » Pour autant, elle ne désarme pas, et « évidemment » elle travaillera sur l’attentat avec ses élèves après les vacances, le 2 novembre.

Bruno, prof d’histoire géo depuis une trentaine d’années et connaisseur d’établissements difficiles en Ile-de-France, évoque « des jeunes formés et déformés par les imams du quartier ». Parmi les absurdités, il se rappelle un élève soutenant mordicus que « les cathédrales de France ont été construites par des immigrés musulmans. J’avais beau lui expliquer que, au Moyen Age, il n’y avait pas d’immigrés, rien ne surpassait la parole de son imam », se désole-t-il encore.

De ses années d’enseignant de banlieue, Bruno a tiré un livre titré « Considérations inconvenantes sur l’école, l’islam et l’histoire à l’heure de la mondialisation » publié en 2015. Il y rapporte comment un professeur a été convoqué au rectorat puis « suspendu à titre conservatoire » pour avoir constitué un dossier sur des élèves qui ne le laissaient pas faire cours sur le catholicisme au nom du « djihad ». « Ce professeur, c’était moi, confie-t-il aujourd’hui. Je ne l’ai jamais dit. A l’époque, j’étais extrêmement choqué. Mes collègues ne m’ont pas soutenu, ils se sont contentés de blaguer sur mes vacances anticipées. » L’affaire, qui a fini devant un juge, se déroulait il y a dix ans mais l’enseignant qui apprend désormais l’histoire dans un lycée huppé est convaincu que la situation n’est pas différente aujourd’hui.

Arnaud, professeur de lettres classiques et membre du collectif des Stylos rouges, se souvient pour sa part d’une visite agitée du Quartier latin, avec ses élèves d’un lycée de Cachan (Val-de-Marne), il y a six ans. « On visitait le lycée Henri-IV, et quand j’ai dit à mes élèves que c’était un ancien couvent, quelques-uns sont sortis », raconte-t-il. Même réflexe au moment d’admirer les grandes orgues de l’église Saint-Etienne-du-Mont. De retour dans son lycée, Arnaud dit avoir alerté la proviseure : « Elle m’a répondu qu’il ne fallait pas s’en offusquer. »

En sortie avec une autre classe, Arnaud s’est indigné quand il s’est aperçu qu’une adolescente, à la traîne à l’arrière du groupe, était en train d’ajuster son jilbab (longue robe recouverte d’une grande cape avec voile intégré) dans la rue. Il lui a demandé de le retirer. « Elle a protesté en m’expliquant que monsieur Untel, dans un autre cours, l’avait autorisé », raconte l’enseignant, remonté contre ceux qu’il estime être « des profs complaisants, qui au lieu d’expliquer aux élèves qu’ils dépassent les bornes, préfèrent éluder en leur disant c’est ta vérité. »

Les signes religieux ostensibles sont bannis depuis 2004 des établissements scolaires. « Mais le voile est parfois remplacé par un bandana. C’est à la limite de l’acceptable. Alors, les filles jouent avec ça », remarque Malik qui reconnaît que, en ce moment, « on est davantage focalisés sur le port du masque obligatoire ». Karima (le prénom a été changé), CPE dans un lycée professionnel, a, elle, été amenée à gérer le cas d’une élève portant un jilbab.

« Elle enlevait la cape avant d’entrer dans le lycée mais avait toujours cette longue robe noire. Elle convenait que c’était par rapport à sa religion. Je l’ai reçue, on a convoqué les parents. Et grâce à son père, la fille a accepté d’opter pour la solution de la longue jupe fleurie », détaille-t-elle. Selon elle, le fait qu’elle soit « issue de l’immigration et de confession musulmane » peut l’aider à résoudre les conflits comme, à l’inverse, la desservir. « Soit on m’écoute, soit on me traite de vendue de la République », affirme-t-elle.

Le boycott des séances de natation, pour des motifs religieux de « pudeur », est aussi recensé par les enseignants de sport des collèges et lycées. Pour Karima, « dès qu’il y a natation, c’est une désertion chez les filles qui ne veulent pas montrer leur corps ». « Là, il n’y a pas de pédagogie qui tienne, c’est clair et net, elles ne viennent pas ! » regrette-t-elle. « Elles vont dire qu’elles ont leurs menstrues, qu’elles sont malades… Mais tant que le bordereau est signé par les parents, on ne peut pas remettre en cause le motif. Certaines présentent aussi un certificat médical d’inaptitude à la pratique de la natation alors qu’elles sont en bonne santé. Quand j’en parle avec elles, elles m’avouent qu’elles n’ont pas envie de faire natation. »

« Voilà plusieurs années que, face à des situations tendues, le premier réflexe est que ça ne s’ébruite pas. Ça me met en colère ! » grince en écho William, prof de physique, rencontré dimanche dans le rassemblement parisien en hommage à Samuel Paty. Audrey, enseignante de français au collège venue avec quatre collègues, rappelait le hashtag #Pasdevague qui a fleuri en 2018 après l’agression d’une enseignante, braquée par un élève en plein cours, avec une arme factice.

« Le double discours du ministre, qui promet de l’action alors qu’il ne fera rien, me met hors de moi. On va mettre des bougies, on va faire des minutes de silence et après ? Les profs continueront d’être seuls » s’emporte Bruno Modica, porte-parole de l’association professionnelle de profs d’histoire géo Clionautes, qui enseigne lui-même à Béziers (Hérault). « Mon premier signalement pour radicalisation remonte à 1991. J’enseignais alors à Tourcoing (Nord), au lycée Gambetta où j’ai eu dans la classe Lionel Dumont, le premier djihadiste français aujourd’hui en prison », retrace ce vieux briscard qui, en 39 ans, de classe estime que la consigne n’a pas changé : « On a fait le choix de tout mettre sous le tapis. »

Sur le papier pourtant, des dispositifs ont été créés pour recenser les cas d’entraves à la laïcité, former et épauler les enseignants. « S’ils rencontrent un problème, ils doivent le signaler, ils seront aidés », répète sur tous les tons le ministre de l’Education nationale depuis trois ans, et ce mardi encore à l’antenne de BFM.

Certaines conférences d’intervenants extérieurs peuvent également donner lieu à des conflits. « Lors de la journée de lutte contre l’homophobie, on avait invité une association LGBT. Il y a alors eu une levée de boucliers de certains élèves dénonçant la théorie du genre. On a alors fait de la pédagogie. Et, au final, il n’y a eu qu’une dizaine d’élèves absents », se souvient Karima. Pour Malik (le prénom a été changé), en action dans l’encadrement d’un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, les profs appartenant à la gent féminine voient aussi leur autorité mise à rude épreuve par « des gamins qui ont une culture religieuse musulmane ». « Quand une femme élève la voix sur un garçon, celui-ci va réagir. Ce n’est pas dans son éducation de la fermer », constate-t-il. « C’est du genre : Toi, t’es qui, d’où tu me parles ! » précise Karima."

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Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Atteintes à la laïcité à l’école publique (note du CLR).


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